Ace
J'ai gagné. Ce qui n'est surprenant pour personne. S'il y a bien une chose dont je suis sûr dans ma vie c'est que je suis talentueux pour jouer au poker. C'est mon monde. Le poker est la seule chose qui me reflète, moi. C'est un sentiment inexplicable. Mais je sais avoir trouvé ma vocation. Celle que ma mère m'a transmise. Celle dont je ne me lasse jamais. Celle où je suis sûr d'être à ma place. Une fois mes cartes en main, je suis maitre de mon propre jeu. Louis ne m'a jamais battu et je ne comprends toujours pas comment il persiste à continuer de jouer mais je m'en réjouis car j'ai quelqu'un avec qui le faire. À quoi bon poursuivre lorsque c'est voué à l'échec ? D'après lui, c'est le même principe que notre existence. Quand je lui ai demandé il m'a retorqué : "Nous vivons pour mourir, mais cela ne signifie pas que nous devons arrêter de vivre". J'ai donc pris sa réponse en considération. D'après moi, c'est comme les personnes qui persistent à aimer quelqu'un qui ne les aiment pas en retour, encore, toujours et à jamais. Il faut tourner la page. Il a espoir de gagner contre moi et comme on dit, l'espoir fait vivre. Nous jouons au poker dans notre chambre, comme à chaque fois que nous n'avons plus de travail. C'est devenu une routine rassurante.
Nous sommes assis par terre depuis une dizaine de minutes sur le tapis au centre de notre chambre. C'est moi qui lui ai appris à jouer, car c'est mon meilleur ami. Il a mis un certain temps à comprendre que non, le poker n'est pas un jeu clandestin. Et que non, nous ne jouerons pas pour de l'argent. Lui faire intégrer les règles n'était pas de tout repos non plus mais maintenant, c'est agréable d'avoir quelqu'un avec qui jouer. Ma mère m'avait expliqué les règles du poker lorsque j'avais cinq ans et depuis, j'y joue régulièrement. C'est en grand partie grâce à elle que j'ai tant d'attache au poker. Une tradition que ma mère et moi avions était d'acheter un paquet de cartes durant chacun de nos voyages. Ainsi, nous avons collectionnés après de nombreuses destinés des cartes venant d'Espagne, du Portugal, de Tunisie, du Brésil, de Grèce, de Turquie et d'Italie. C'est ce qui nous lie à distance elle et moi. Les instants volés entre quelques cours avec Louis ne vaudront jamais autant que les soirées passées à jouer avec elle mère sur notre balcon mais c'est mieux que rien. Il y a tant de possibilités en une seule partie. A chaque partie, je m'améliore. Le poker est un jeu qui demande de l'intelligence, de la réflexion et des connaissances en mathématiques. Les cartes avec lesquelles nous jouons son usées, cornées et jaunies, mais j'aime bien ; c'est une preuve que les cartes ont vécue. Le paquet est abîmé et je fais attention à ne pas perdre de cartes. Louis m'interrompt dans mes pensées :
- On peut jouer à la belote ?
Il me regarde, une étincelle de pitié dans ses yeux marrons.
- Tu n'aimes pas perdre ? Je me moque.
- C'est plus drôle de gagner.
- C'est parti !
Je remélange les cartes puis nous nous retrouvons à jouer à la belote. Je suis doué, mais lui aussi, donc nos victoires sont plus partagées que durant nos parties de poker. Jouer à la belote était un des seuls points communs que je partageais avec Louis avant que nous devenions amis. Nous divisons, déposons nos cartes et commençons à jouer. Au bout d'un certain temps, mon adversaire dépose sa dernière carte et déclare : « rebelote ! ». Nous additionnons le total des points ; il a gagné, de peu. Je le félicite pour sa victoire. Nous ramassons toutes les cartes en silence pour les remettre dans leur boîte puis je pose celle-ci sur ma table de chevet. D'un point de vue externe, on pourrait croire que nous avons un manque de communication. En réalité, aucun de nous deux est bavard, voilà pourquoi nous ne parlons pas souvent entre nous.
On s'installe chacun dans son lit, je mémorise mes fiches et étudie pour mon prochain test de biologie tandis que mon meilleur ami fixe son téléphone. Je regarde mes annotations, essayant de déchiffrer ce que j'ai pu noter durant mes cours. Les formules sont faciles à mémoriser et à appliquer pour moi, qui suis fort en mathématiques En revanche, l'analyse de documents...c'est plus complexe. Je suis plus studieux que Louis et j'ai de meilleures notes. Il fait comme si ne pas avoir de bons résultats ne l'affecte pas, mais je sais que si. C'est pour cela que je lui demande régulièrement s'il a besoin de mon aide. Nous passons parfois des heures à étudier une matière.
Nous avons une chambre pour deux personnes, Louis a décoré sa partie avec des posters venant de son voyage au Japon, des figurines d'animés, une étagère de mangas et un tourne disque. Il aime mettre de la musique et à l'instant. Il est fan du monde des animés. Le dressing de mon colocataire est plus restreint que le miens, il met des cargos et des hauts de couleurs unies, avec parfois quelques écritures.
J'ai un dressing dans lequel se trouve mes pulls et ensembles de sports, des jeans larges, des t-shirts, des habits de sports... et mes paires de chaussures. Je fais attention à la manière dont je m'habille : j'ai un style qui me plait. Notre chambre comporte une grande vitre transparente, qui donne vue sur la cour de l'école. Les gouttes d'eau claquent le sol telle une fade mélodie.
Mon lit est décoré de quelques photos de famille : une photo de mon père durant une soirée déguisée et un selfie de ma petite sœur tenant mon lapin blanc, Joker. Le PC sur lequel je travaille se trouve sur mon bureau avec d'autres cahiers. Je ne me plains pas, connaissant la situation de mon meilleur ami. Louis détache ses yeux de son téléphone et m'annonce, l'air penaud :
- Il y a une nouvelle. Elle est dans notre cours de poésie et elle est arrivée aujourd'hui.
Ses mains tremblent. Les notifications de son téléphone traversent mes oreilles. Je fais mine de rien ;
- Superbe. Comment elle s'appelle ?
- Roselita. Roselita Fus... Fuscio?
- J'aime bien.
- De quoi ?
- Son prénom. C'est original et élégant.
- Si tu le dis.
Louis paraît perturbé, ce qui est dans ses habitudes. J'essaye de ne pas trop y prêter attention. Lorsqu'il est dans sa bulle, personne ne peut l'approcher avant que celle-ci n'éclate à cause d'un choc. Peu de gens remarquent cela chez lui, mais je le connaît depuis trop longtemps pour ne pas le savoir. Après tout, les bulles sont transparentes.
- Comment tu sais qu'il y a une nouvelle ?
- Crystal me l'a dit. Elle l'a croisé dans les couloirs.
Crystal est la petite amie de Louis. Ils sont ensemble depuis un peu plus d'un an et sont très proches. C'est une fille positive, apaisée et souriante. A vrai dire je ne la connais pas si bien, mais elle est comme un rayon de soleil dans la vie de Louis. Elle le rend heureux et c'est ce qui compte.
Louis et moi sommes devenus meilleurs amis un peu par hasard. J'avais quinze ans quand je l'ai rencontré. Je ne l'appréciais pas trop avant de le connaître car il semblait froid. Nous étions assis à côté en cours de mathématiques et il n'arrêtait pas de me poser des questions. Même s'il ne parlait jamais de ses problèmes avant, aujourd'hui je sais ce qu'il a vécu avec un père absent. Un père en prison et une mère dévastée. Son enfance a été difficile, il a été un enfant torturé mentalement par le manque de présence de son père, puis de sa mère qui n'a pas tenu le coup de savoir son mari derrière les barreaux.
Il a traversé l'océan en passant par des vagues, son bateau a coulé mais il a réussi à revoir la lueur du ciel.
A un si jeune âge, Il est survivant d'un naufrage qui l'a transporté dans les profondeurs de la mer causée par l'absence de sa mère.
Ces mêmes profondeurs qui me sont inconnues, et que je découvre au fil du temps quand celles-ci ne sont plus couvertes d'un coquillage qu'il utilise pour se protéger. Il a plongé il y a des années et a présent il sait nager. Il tient face à la Terre et reste à la surface de la mer en me parlant vaguement de ses flots de pensées.
Son esprit est tourmenté prit dans un tsunami de pensées. Il sait que je suis son ami, que je peux l'aider. Un jour il a prononcé ces mots qui m'ont marqué. J'aime les interpréter de cette manière :
"Il y a de cela une éternité, j'ai pris une barque qui m'a embarqué trop loin. Tu es ma bouée, Ace. Mais je ne peux pas m'appuyer sur toi trop longtemps ni trop fort car tu risquerais de te dégonfler. Je ne veux pas t'entrainer quelque part où je ne saurais revenir car la pression serait trop forte".
Ces mots sont restes gravés en moi, sa voix grave qui repasse dans ma tête. Tel un écho qui continue de resonner à l'infini, chaque fois a peu moins fort que la précédente jusqu'à être trop faible pour être entendue.
Louis est fils unique ; son père est en prison. Je sais que cela le touche, même si, encore une fois : il ne l'admettra jamais. Il m'en a toujours parlé avec un certain recul. Il semble parfois si détaché du monde extérieur, fait qui m'a toujours intrigué.
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L'as de rose
RomanceRoselita change d'école pour fuir son passé, déterminée à prendre un nouveau départ. Éternelle romantique, elle est ravie d'apprendre que pour se cours de poésies, un échange de lettres se fera entre elle et un correspondant anonyme, qui s'avère êtr...