Le décor change sous mes yeux. Le ciel s'assombrit, cachant le soleil sous une masse de nuages. La faible luminosité disparaît, rendant mon chemin sombre et terne. Dans ce silence qui s'abat sur mes épaules et pèse lourd, un mauvais pressentiment naît au creux de mon ventre. Le déluge gronde et tonne avant que la pluie ne s'abatte. J'ai l'impression que le ciel menace de tomber à tout moment. La ruelle devient peu accueillante. La pluie transperce le sol, transformant mon jean en éponge tandis que le tissu se colle désagréablement à ma peau. Heureusement, mon manteau préserve ma chemise de l'humidité.
Les rues se transforment rapidement en torrents et les voitures qui passent éclaboussent mes chevilles. L'odeur de l'humidité emplit l'air, accentuée par le froid mordant qui me fait frissonner.
À chaque rafale de vent, l'eau s'incline et tombe sur mon visage. Je suis contraint de plisser les yeux pour éviter qu'elle ne s'y engouffre, mais le plus désagréable reste la sensation des gouttes fraîches qui coulent le long de ma peau. Ma vision s'embrouille, tandis que des perles d'eau se forment sur mes cils.
- Temps de merde, sifflé-je entre mes lèvres pincées en une fine ligne, agacée.
Ma soudaine rage contre la pluie est coupée par un rire. Un rire si lointain que je viens même à douter de son existence. Mes mains, qui tiennent les lanières de mon sac à dos, blanchissent à mesure que je serre fort ces dernières, le cœur battant. Ce rire glacial, qui remue les entrailles au plus profond de moi et me glace le sang, s'est évanoui dans les airs.
Pourtant, un bref coup d'œil me permet de constater qu'il n'y a rien près de moi. Je balaye cette frayeur du revers de la main en me persuadant que ce n'était que mon imagination. Après tout, dans cette ambiance, il est facile de se faire peur avec des petits bruits insignifiants. Enfin, c'est ma façon de me rassurer.
Après quelques pas, je traverse un vaste parking qui débouche sur des escaliers menant à des portes. Elles sont entrouvertes, maintenues par un petit aimant disposé au sol. Lorsque mon pied franchit le seuil de la porte, mes épaules, jusqu'à présent crispées par la pluie, se relâchent et un soupir s'échappe de mes lèvres. Je suis enfin arrivée. Je quitte l'entrée qui me sépare du monde extérieur pour arriver dans un tout autre univers : un dédale de couloirs où les murs sont revêtus de livres alignés en rangées. Différentes voies s'entrelacent, les froissements de pages se font entendre, les murmures s'élèvent, les pieds qui parcourent le sol se multiplient, le décor s'obscurcit par les allers et venues. Les étudiants affluent pour trouver matière à leurs recherches ou réflexions ou bien se dirigent vers leurs cours. Leurs esprits sont avides de chaque mot, chaque idée, de compréhension et de découverte.
Cet endroit, je l'ai choisi. Depuis tout petits, on nous dicte nos pas, notre destin. On suit le chemin tracé pour nous : la maternelle, l'école primaire, le collège, et le lycée. Nos choix sont presque inexistants, nous sommes comme cloisonnés dans une case. Cette phase de notre vie est marquée par la sécurité et la prévisibilité. Les décisions sont prises pour nous, souvent dans notre intérêt, mais sans notre réelle participation. On avance dans un couloir balisé, chaque étape clairement définie et attendue.
Puis, d'un seul coup, un fossé se profile devant nous et nous devons choisir ce que nous voulons faire après le baccalauréat. Il marque la fin de l'enfance dirigée et le début de l'autonomie. Le fossé représente l'incertitude, le risque et la possibilité de l'échec, mais aussi la liberté, le potentiel et l'opportunité de découvrir sa véritable vocation. C'est le moment où la responsabilité de notre avenir nous incombe pour la première fois.
Nous qui avons été jusque-là enchaînés par le désir des autres, devons choisir pour nous. Ce passage est un saut dans l'inconnu. On doit sauter dans le vide pour voler de nos propres ailes, passer d'un extrême à l'autre. Aller de suivre à décider.
Mon choix a été guidé par un profond désir de compréhension. Depuis un événement, j'ai ressenti un besoin irrésistible de comprendre les lois et les règles qui régissent notre monde. Ce désir ardent m'a menée dans une grande salle en demi-cercle, dotée de gradins et d'une rangée de tables, avec au centre une estrade majestueuse et un bureau : un amphithéâtre.
Je retire mon manteau mouillé et le dépose sur le dossier de ma chaise, tandis que les autres étudiants s'installent autour de moi. Nous sommes ici pour étudier le droit. Pour beaucoup, le droit représente un rêve d'enfance, une aspiration nourrie par des films et des idéaux de justice. Mais je ne fais pas partie de ces personnes. Enfant, je voulais devenir infirmière. Soigner les autres, apporter du réconfort, c'était ce qui me faisait rêver. Il n'y a apparemment aucun lien entre ces deux vocations. J'ai abandonné cette envie quand une partie de moi est restée sans réponses...
Le départ soudain de mon demi-frère a bouleversé ma vie. Du jour au lendemain, tout s'est restructuré. Ce changement remonte à plusieurs années, mais le sentiment de perte persiste encore profondément en moi.
À l'époque, j'avais cherché à le retrouver, armée de si peu de moyens. Les recherches n'ont mené à rien et j'ai dû très vite abandonner, réalisant que c'était une quête vouée à l'échec. Aujourd'hui, j'ai fait le deuil de cette recherche, mais une partie de moi ne comprend toujours pas pourquoi personne n'a voulu m'aider, pourquoi sa disparition a été traitée avec une telle indifférence.
Malgré le passage des années, on me donne encore des explications plates : "Vous savez, il est adulte, il a peut-être voulu fonder une famille. Vous n'êtes que sa demi-sœur par votre mère et, malheureusement, elle n'est plus de ce monde, rien ne vous relie." Ces mots n'ont jamais apaisé ma douleur. L'absence de mon frère n'a jamais été jugée suffisamment inquiétante par les autres, et ma souffrance semblait n'avoir aucune importance à leurs yeux.
C'est ce sentiment d'injustice, cette nécessité de comprendre et de trouver des réponses, qui m'a poussée vers le droit. Je voulais saisir les mécanismes de notre société, découvrir pourquoi certains actes restent impunis et pourquoi les émotions humaines sont souvent négligées par les systèmes rigides des lois. Depuis que je m'assois sur ces bancs, j'ai commencé à entrevoir les raisons de cette froideur. De nombreuses choses n'ont pas été faites, certaines par négligence, d'autres par manque de moyens. Comprendre cela m'aide à avancer, à me construire sans les réponses que je cherchais désespérément. Cela forge en moi une raison qui apaise en partie le fardeau du manque et de l'incompréhension.
Malgré cette motivation sous-jacente, ces études ne sont pas de tout repos. On apprend les pires crimes et on se regarde, en se disant qu'on ne sera pas pareil qu'eux. On se pense plus civilisés, mais en réalité, c'est parfois la jungle. Certains ont besoin de s'élever en rabaissant les autres, c'est pratiquement la loi du plus fort. L'entraide n'est qu'une fausse amie, un masque derrière lequel se cachent les ambitions personnelles.
Mes pensées sont interrompues par la voix du professeur. Le cours sur la déontologie s'est déroulé rapidement, mais l'épuisement se fait sentir. Je jette un regard par la fenêtre pour contempler le ciel, signe que la journée tire enfin à sa fin.
Lorsque le soleil perce à travers les nuages, je préfère emprunter un autre chemin pour rentrer, traversant la forêt plutôt que de suivre la route. Ce détour m'apaise : le chant des oiseaux, le murmure du vent dans les feuilles... À mesure que je chemine sur les sentiers de terre sinueux, zigzaguant entre les arbres et les rochers recouverts de mousse et de fougères, je redécouvre le calme. Le paysage paisible de la forêt contraste avec l'agitation du bus, le bruit des gens et la sensation étouffante de la ville.
Cependant, sans que je ne le réalise, ce paisible paysage allait bouleverser mon quotidien, et bien plus encore..
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Bienvenue dans ce premier chapitre ! J'espère que cette histoire vous plaira ! N'hésitez pas à me faire part de vos impressions. ★
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Les Aigles Noirs
Romance"Le noir, c'est la négation de la lumière, l'ombre et notre double si mystérieux." Sommes-nous le produit de notre passé ? L'addition de notre vécu ? Nailys se confronte à cette question. Déterminée à sculpter son destin malgré les ombres du passé...