chapitre 7 : Eden

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Il m'est impossible de définir clairement mes souvenirs. Je pense souvent aux endroits où j'ai vécu pendant mon enfance. Chaque son, chaque odeur, chaque goût, chaque sensation. Si je ferme les yeux, je peux encore ressentir toutes les émotions qui m'ont autrefois fait me sentir enfant. Toutes ces choses sont loin de la personne que je suis devenue. On pourrait dire qu'il y a deux versions de moi, un passé et un présent qui sont opposés, voire contradictoires.

L'esprit a ce pouvoir magique de remonter dans le passé, révélant des images légèrement fanées. Si précieuses et inestimables que lorsqu'on les revoit, on ressent une certaine apesanteur. C'est flou et clair, comme un rêve. Je me promène inconsciemment, revisitant ces beaux moments de bonheur d'enfant, moi et Nailys. Ma petite sœur, comme j'aime le dire, qui à l'époque était haute comme trois pommes mais avide de découvrir le monde de ses propres yeux.

Elle était si rêveuse, si ambitieuse. Je me souviens encore de ses petits yeux pétillants face aux montagnes qui se dressaient devant nous pendant les vacances. De ses petites jambes qui couraient dans le champ, essayant de rejoindre ces montagnes bien trop lointaines... et de ses rires si mélodieux.
Et d'un seul coup, la porte de ma chambre s'ouvre, et une masse s'abat sur mon corps tandis qu'un cri perçant me parvient.

- Edeeeeennnnnn ! crie Iwan en sautant sur mon lit.

Un grondement de mécontentement m'échappe. Je prends mon coussin pour le lui balancer.

- Va jouer ailleurs !

- On est déjà tous en bas ! viens, hurle-t-il.

Je suis déjà sur les nerfs depuis hier, et en plus ce petit merdeux vient me faire chier.

Il finit par me sortir de ma chambre. Enfin, non. Il a réussi à négocier ma sortie avec l'argument : Nailys.

Elle ne quitte pas mon esprit. Elle loge dans ma tête depuis hier soir, je ne sais pas vraiment quoi faire. Ni même ce que je suis censé faire. J'ai envie de lui parler et pourtant je suis bloqué.

Je n'ai aucune envie qu'elle sache qui nous sommes, ce que nous faisons. D'une certaine façon, ça me terrifie.

Après un long moment, je descends enfin les escaliers. Je remarque directement qu'Iwan a changé de cible. Il est avec Nailys en train de rire. Son rire réchauffe mon cœur, elle paraît - l'espace d'un instant - heureuse. Cette vision me fige, depuis quand ne l'avais-je pas vue sourire et rire ? Depuis quand sa présence joyeuse avait-elle disparu entièrement de ma vie ? Ce sourire, une lueur dans ce monde sombre qui nous entourait.

Je me trouve confronté à un tourbillon d'émotions contradictoires. C'était comme si chaque éclat de rire de ma sœur éveillait en moi des souvenirs enfouis, des moments de bonheur que j'avais presque oubliés. Mais avec ces souvenirs heureux venaient aussi le poids accablant de la culpabilité et du regret.

Je me surpris à penser à la façon dont les choses auraient pu être différentes si j'avais pris des décisions différentes. Si j'avais été plus fort, plus courageux, peut-être que Nailys n'aurait pas eu à endurer la vie qu'elle menait maintenant. Mais mes pensées me ramenaient toujours à la même conclusion douloureuse : j'avais échoué en tant que grand frère.

Elle ne fait pas attention à moi. Elle m'a forcément remarqué mais elle ne me jette aucun regard. Je hausse légèrement les épaules face à ce comportement.

En réalité, j'endosse le rôle de grand frère, mais on ne choisit pas de l'être, on l'assume simplement. On ne m'a jamais donné de mode d'emploi. Je me suis simplement réveillé un beau jour avec ce petit corps dans mes bras, ces petites mains, ces petits doigts...

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 04 ⏰

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