Épilogue - Jamais plus

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Debout au milieu de son petit appartement, entourée de cartons à peine ouverts, Jill se mordillait nerveusement un ongle, le téléphone collé à l'oreille.

- Vraiment désolé de te demander ça au dernier moment, Jill, je sais que tu viens d'emménager, tu as sûrement autre chose à faire ce soir mais on a pas d'autre photographe.

- Non, pas de problèmes, répondît la jeune femme sans laisser transparaître la nervosité qui l'habitait. Vous pouviez pas prévoir que la personne qui était censé y aller tomberait malade.

- Et on a vraiment besoin de ces photos pour l'article, se répéta l'éditeur a l'autre bout du fil, c'est vraiment un groupe montant de la scène rock française, on peut pas louper ça. Leur premier concert dans une belle salle comme ça, en plus en clôture de tournée...

- J'comprends parfaitement, des instructions particulières quant aux photos ?

- Non, essaye d'en prendre un maximum, mais sinon fait toi plaisir, j'ai beaucoup aimé ton book, je suis sûr que ça va être top.

- Ça marche, merci !

- Et profite bien du concert, s'exclama l'homme, je sais pas si tu connais, mais vraiment c'est un putain de bon groupe !

Jill eu un petit rire, bien qu'une boule d'angoisse fût en train de se former dans sa gorge.

- Ouai, je connais un peu, merci, conclut-elle.

- Nickel! A lundi du coup, s'exclama-t-il pour conclure l'appel. Et merci, hein, Jill.

La jeune femme raccrocha et son portable glissa de ses doigts, pour atterrir sur une pile de cartons. Par la fenêtre ouverte, le bruit de la rue entrait dans son appartement. Paris était une ville bien bruyante, mais elle commençait déjà à s'y faire. Surtout en cet instant où le bruit des klaxons et des passants couvrait encore le brouhaha de ses pensées intrusives. Machinalement, elle se pencha pour refermer le pot de peinture bleu canard avec lequel elle était en train de repeindre les murs et enferma les rouleaux et pinceaux dans un sac plastique. Elle n'aurait pas le temps d'en faire plus aujourd'hui. Se laissant choir sur le parquet, elle s'allongea sur le dos et fixa son ouvrage à moitié fini. Ça faisait tout juste deux jours qu'elle était arrivée à Paris. Deux jours à peine. Elle se tortilla pour attraper son paquet de cigarettes et toujours allongée sur le sol, elle en glissa une entre ses lèvres et l'alluma. Ce fut seulement en expirant la fumée qu'elle s'autorisa un long gémissement d'angoisse. Deux putains de jours seulement et elle allait déjà se retrouver face à Trouble Trouble. Face à lui.


Cinq ans et deux mois s'était écoulé depuis cette journée qui l'avait déchirée. Cette journée où elle l'avait vu depuis la dernière fois, la porte du train se refermant devant ses yeux, la privant de son amour, dérobant ses yeux gris à sa vue, brisant son cœur, son corps. Elle avait mis des mois à guérir, à oublier, dans une fuite en avant qu'elle n'avait jamais arrêté depuis. Son premier amour, son seul amour. C'était bien la seule chose sur laquelle elle n'avait jamais réussi à se mentir à elle-même, malgré l'enchainement de relations qu'elle avait eu ses dernières années, elle n'avait jamais réussi à retomber amoureuse de quelqu'un d'autre. Alors elle avait tout pris, son malheur, son cœur déchiré, ses souvenirs, elle avait tout enfermé à double tours dans une boite cachée au fin fond de son cœur, et elle ne l'avait jamais rouverte.

Elle s'était donné l'impression d'oublier et elle s'était jetée de toute son âme dans cette passion qu'était la photographie, au point qu'elle avait parfois l'impression de ne plus voir la vie qu'à travers l'objectif de son appareil, bien cachée derrière lui comme un bouclier, maintenant une distance avec le monde et ses sentiments chaotiques qu'elle ne regardait plus qu'à travers la lentille.

When I Feel - CastielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant