Première entrée

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Journal de bord du capitaine Sérénite

15 dozème de l'an 347 d'hivernelle

Désormais, il n'y a plus que le blanc. La neige recouvrait Pendling lors de notre départ, deux mois plus tôt, mais ici, rien ne vient tacher son manteau, ni ville ni hameau. Aucune âme ne vit dans le grand nord et le chien de Balsien n'a pas flairé de créatures marines depuis plusieurs jours. L'hivernelle semble avoir tout absorbé dans ces contrées, jusqu'à la vie elle-même. Pourtant, le Brise-glace poursuit son avancée. Mes compagnons n'osent pas me poser la question, mais je sens l'inquiétude dans leurs regards.

Jusqu'où s'étend l'hivernelle ? Nous pensions connaître le froid, nous qui avons vécu toute notre existence sous son emprise. Nous découvrons ici une morsure plus puissante encore. Dormir est devenu pratiquement impossible, non pas à cause du roulement des vagues, mais parce que les frissons et les claquements de nos dents nous maintiennent éveillés. Ma reine n'a pourtant pas lésiné lors de la préparation de notre expédition et nous disposons d'un stock de fourrures tel que je n'en ai jamais vu. Cette nuit, alors que j'exécutais ma tournée du navire pour m'assurer que mâts et poulies tenaient bon, j'ai entendu Marcia gémir depuis sa cabine. Elle et moi sommes les seuls à disposer d'une chambre privée et la pudeur aurait voulu que je ne franchisse pas son seuil. Quel réflexe paternel m'a poussé à ouvrir la porte ? Je ne saurai le dire. Je n'éprouve pas plus d'affection pour la théologienne que pour mes autres compagnons d'aventure – à l'exception, peut-être, du jeune Balsien, qui me rappelle ma fougue d'antan.

Marcia gisait dans son lit, recroquevillée sur elle-même, les lèvres bleues et le nez rouge. Tant de couleurs dans ce monde qui n'en connait plus qu'une. Son corps était agité de soubresauts et j'ai aussitôt couru jusqu'à ma cabine pour extraire de mon coffre une pelisse d'ours que j'ai jeté sur les deux couvertures qui la recouvraient déjà.

Comment allons-nous survivre, une fois notre destination atteinte ? Halcine nous a mis en garde : nous ne pourrons emporter avec nous que le stricte nécessaire si nous espérons pouvoir progresser le long de la banquise. Nous allons devoir dire adieu à nos couvertures et au confort relatif du bateau. Bientôt, il n'y aura plus que nous et l'immensité de l'hivernelle.

En dépit de ces circonstance qui me semblent si peu favorables, je remercie sa majesté. La mission qu'elle nous a confiée vaut toutes ces peines. 

Après tout, nous partons sauver le monde.

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