Cinquième entrée

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Journal de bord du capitaine Sérénite

25 dozème de l'an 347 d'hivernelle

Le matin vient à peine de se lever et nous avons déjà frôlé le pire. J'écris ces quelques lignes à la hâte, car nous avons dû retarder notre départ, le temps qu'Halcine prodigue quelques soins d'urgence à Marcia.

L'incident s'est produit durant le tour de garde de la théologienne. Quand nous sommes sortis de notre torpeur – je peine à qualifier ce qui occupe mes nuits de sommeil – nous avons découvert que la majorité des sacs accrochés au pic de fer d'Halcine avait disparu. Ils contenaient nos réserve de nourriture. Salovar, affamé comme chaque matin et rendu irascible par le manque de sommeil, a aussitôt accusé Marcia de les avoir dérobés en cachette, elle qui a l'habitude des offrandes généreuses du temple. De nous tous, je pense que Marcia et Salovar sont les mieux nourris, là-bas, à Pendling. Leur statut leur apporte un confort de vie qu'un jeune chasseur, une alpiniste et un soldat en fin de carrière ne connaîtront sans doute jamais.

Balsien a tenté de s'interposer entre eux. Il assure qu'aucun de nous n'est responsable. À la place, il accuse l'ombre. Le petit est persuadé que quelque chose nous suit depuis que nous avons quitté le Brise-glace. Il prétend que son chien l'a flairé et le flaire encore. Bien sûr, personne ne l'écoute ou alors personne ne le croit. Je le vois devenir plus pâle et plus maigre de jour en jour. Ce gosse n'est pas bâti pour une aventure pareille et la folie commence à lui grignoter le cerveau. Il a beau eu s'égosiller, Salovar et Marcia n'ont pas cessé de se cracher les pires insultes à la figure. Je ne les retranscrirai pas ici tant certaines défient tout code de la bienséance.

Quand Marcia a qualifié, en des termes fleuris, Salovar de savant de pacotille, les verrous de son esprit ont cédé. Il a fondu sur la théologienne, les mains tendues et, avant que j'aie le temps d'intervenir, il l'étranglait. Il a fallu mes forces combinées à celles de Balsien pour l'écarter de sa victime. Décuplés par sa rage, ses gestes étaient d'une violence inouïe et ce ne fut que lorsque le nez du jeune chasseur craqua sous son coude que Salovar recouvra ses sens. Il continue de se répandre en excuses en ce moment même. J'ignore si la gentillesse de Balsien est sincère ou feinte – ou si elle tient simplement de la naïveté – mais il semble avoir pardonné à Salovar. Malgré tout, il a commandé à son chien de rester à ses côtés. L'homme et l'animal n'ont jamais autant fait qu'un depuis le début de notre épopée. J'espère que le contact de sa bête rassurera Balsien et l'aidera à marcher le ventre creux, car il est temps de nous remettre en route et au petit-déjeuner, il n'y aura que de la neige ce matin.

L'HivernelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant