Quatrième entrée

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Journal de bord du capitaine Sérénite

23 dozème de l'an 347 d'hivernelle

J'ignore combien de temps je pourrai encore écrire. Chaque fois que je retire mes gants, les engelures ont un peu plus rongé mes doigts. Hier, au cœur de la nuit, j'ai dû quérir l'aide d'Halcine pour amputer un de mes orteils. Professionnelle jusqu'au bout, elle a coupé sans une question et n'en a parlé à personne. Je pensais savoir bander mes pieds, mais l'alpiniste m'a montré comment mieux les protéger de la morsure de l'hivernelle. Elle les a emmitouflés sans une grimace, mes pieds de vieil homme aux ongles noirs. J'espère pouvoir repartir demain sans trop claudiquer. Mes compagnons ont besoin d'un capitaine fort, vaillant, d'un homme de poigne, pas d'un infirme.

Je ne sais pas si c'est le froid ou la banquise qui s'étend à l'infini, sans que notre destination ne semble plus proche que la veille, mais les tensions montent au sein du groupe. Ce matin, quand nous avons repris la route, j'ai bien cru que Marcia et Salovar allaient en venir aux mains. Chacun se revendique la paternité – ou la maternité – de notre expédition, chacun se prétend plus indispensable que l'autre, chacun provoque l'autre en clamant son incompétence. La boussole de Salovar ne nous mènera jamais aux géants, prétend Marcia qui n'utilise que sa foi comme instrument pour la guider. Quant à la théologienne, elle n'est, aux yeux de Salovar, qu'une illuminée qui nous mènera à notre perte.

J'ai ordonné à Salovar de marcher en tête avec Halcine, pendant que Marcia et Balsien ont pris la queue de notre cortège. Ainsi, je me suis retrouvé au milieu, avec le molosse du jeune Monfonge comme compagnon. Lui aussi, semble perdre la tête. Il furette partout, la truffe au vent, et aboie après des flocons de neige. Je trouverais sans doute la situation cocasse s'il ne pouvait pas me rompre la nuque d'un coup de mâchoire...

L'HivernelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant