Lorsque vous descendiez le sombre escalier de pierre qui menait au Purgatorio, l'odeur vous prenait. Nul autre endroit ne sentait ce mélange de cendres encore chaudes et d'airs les plus purs, de myrrhe précieuse et d'encens anciens, de fleurs fraîches et de chairs pourrissantes, de mers déchaînées et de pierres enterrées. Puis vous arriviez dans les vestiaires. La splendeur des deux préposés aux ailes grises suffirait à faire d'eux les muses des plus grands couturiers, s'ils n'étaient pas cachés dans ces sous-sols à la lumière tamisée.
Enfin, vous entriez dans le club. L'odeur se faisait plus forte, et pourtant, vous arriviez presque à l'oublier. Peut-être grâce aux reflets des cocktails, lesquels capturaient le peu de lumière telles des pierres précieuses liquides, donnant l'impression de boire des morceaux d'éternité. Ou alors, grâce à la musique diffusée en fond sonore, aux éclats de voix et aux rires de la clientèle, qui sonnaient à vos oreilles comme le chant des oiseaux, la pluie des nuages, le clapotis des rivières, le tonnement des fleuves, le martèlement du métal, le murmure des montagnes. Et c'était sans parler du bruissement des plumes, des frémissements des tissus sans prix.
Ou tout simplement, parce que les êtres dansant comme si demain sonnerait la fin, ou attablés au bar ou dans le secret des alcôves en buvant comme si hier n'avait jamais fini, faisaient passer le Met Gala pour une kermesse d'école. Vous le saviez avant d'entrer, le Purgatorio n'était pas un club comme les autres. Sans doute parce qu'aucun autre club n'avait pour clientèle le Paradis et l'Enfer, et tous ceux qui n'étaient plus les bienvenus chez eux.
***
Haziel poussa les portes de son club. À chaque fois qu'il les franchissait, il se rappelait quand cet endroit n'était encore que des catacombes. Il venait d'arriver à Florence. La Renaissance italienne n'en était qu'à ses balbutiements, mais il avait pressenti que cette ville serait prise dans son tourbillon. On devinait ces choses-là, après des milliers d'années d'errance à côtoyer l'humanité.
À l'époque, les anges qui étaient tombés du Paradis, volontairement ou non, et les démons qui avaient fui l'Enfer comme lui étaient de plus en plus nombreux. Les déchus avaient eu besoin d'une place où se regrouper, s'organiser, se soutenir, face aux deux autres puissances. En tant que premier déchu, il s'était toujours senti la responsabilité de protéger ceux qui sont arrivés sur Terre après lui. C'était son devoir en tant qu'ancien archange et sa pénitence pour avoir amené la guerre au Paradis. L'argent permettant tout, il avait fait enterrer les milliers d'ossements dans un champ paisible en dehors de Florence, bâtir son palazzo sur les catacombes vidées et transformer celles-ci en Purgatorio. Aujourd'hui, le champ était devenu un vignoble dont son club était le principal client.
Haziel était très fier de ce que lui et ses compagnons d'infortune avaient réussi à faire du Purgatorio. Aujourd'hui, c'était le seul territoire neutre où anges, déchus, et démons pouvaient se retrouver en paix. Du moins, en théorie, dans les faits, si les démons ne boudaient pas cet endroit, les anges y étaient encore rares. Les déchus y restaient majoritaires, sans compter certains initiés des autres races qui étaient également accueillis avec joie, tant qu'ils respectaient la règle de non-violence des lieux. Sinon, c'était un bannissement pouvant aller de quelques dizaines d'années à quelques dizaines de siècles, selon l'humeur de Haziel ou de son second Phistophélès.
L'archange déchu avait dû s'absenter quelques jours de Florence. Après avoir englobé la salle du regard, il fut satisfait de constater que tout était tel que cela devait être. Les clients s'amusaient ou tramaient quelques affaires obscures avec des mines de conspirateurs. Certains des habitués étaient présents. Azraël, l'ange de la Mort, était penché sur le grand registre de l'Humanité en sirotant un Cité d'Argent, sa boisson préférée. Dama Lucrezia del Fiore, la régente de la Cour de la Nuit de Florence, dansait avec son Calice, un artiste dont le nom lui échappait toujours. Et parmi toutes ses ailes grises, noires, et blanches, il aperçut les plumes vermeilles du Grand Lilith, le premier ange façonné et Succube parmi les Succubes. Il nota avec regret qu'il n'était pas accompagné d'Asmodée. Haziel n'eut pas le temps d'aller les saluer que Phistophélès fonçait vers lui, dans une cacophonie de claquements de talons Louboutin, à peine audible dans le bruit ambiant. Son ami supposa qu'il voulait des nouvelles de la doctoresse Faust. Mais elle était bien loin des pensées de Phistos quand il lui annonça en un chuchotement très nerveux :
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Plutôt pourrir sur Terre
FantasyAux premiers jours de la Création, Lucifer et Haziel, deux des neuf archanges célestes, sont tombés deux fois. D'abord, ils sont tombés amoureux l'un de l'autre. Puis, ils sont tombés du Paradis jusqu'en Enfer, après leur rebellion pour leur liberté...