Chapitre Quatre : Ciel et dhampire

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Lucifer passa la nuit à la fenêtre, à contempler le ciel. Les étoiles ne brillaient pas en Enfer, la Lune et le Soleil non plus. Pour la première fois depuis la Chute, il les revit, et c'était comme revoir de vieilles amies. Il se souvint du Quatrième Jour, lorsqu'il était parmi elles. Il se rappela de ses promenades dans le firmament, où il disparaissait à l'aube, dans la lumière et la chaleur du Soleil, pour reparaître au crépuscule, dans la lueur et la froideur de la Lune. Mais un jour, il s'était lassé de briller et de se promener. Il voulait autre chose. Il voulait que sa vie soit expériences et découvertes. Cette envie, désir, faim, fureur, ambition, avidité, langueur – que les autres appellent ça comme ils le souhaitaient – le consumait tant qu'il en étincelait plus fort que tous les autres astres du Ciel, allant même jusqu'à éclipser Soleil et Lune. Alors, Sa Déité l'avait remarqué. Alors, On avait fait de lui un ange, puis un archange. Alors, Lucifer avait rencontré Haziel. Alors, il avait eu la certitude qu'il était né pour l'aimer et être aimé par lui. Alors, ils avaient chuté. Alors, Haziel était parti.

Lucifer aurait pu frapper à la porte de l'archange déchu. Il aurait pu lui mentir, lui susurrer à travers la porte toutes les belles paroles que Haziel voulait entendre, jusqu'à ce qu'il la lui ouvre. Il était le Diable après tout, il était bon dans ce domaine. Il aurait pu l'avoir, au moins pour une nuit, et ramener avec lui le souvenir de cette victoire en Enfer. Mais sous la satisfaction, il y avait des victoires qui avaient des goûts de défaites. Il était donc resté là, sur cette méridienne, les yeux levés vers les étoiles, à les écouter bruire d'un chant que personne, même parmi les anges, n'entendait. Il ne comprenait plus leur mélodie depuis bien, bien longtemps, mais ça ne changeait rien. Elle restait un des plus bruits de la Création. Puis, lorsque la nuit s'éclaircit, lorsque le bleu devint orange, et que les astres disparurent pour laisser place à l'aria du Soleil, il s'en alla.

Dans les rues de Florence, Lucifer vit le Soleil se lever. Ses larmes coulèrent et des fêtards se crevèrent les yeux pour que cette image soit la dernière qu'ils voient. Il marchait et sur son passage, les gens blasphémèrent dans des langues inconnues jusqu'à s'asphyxier. Il se pencha par-dessus un pont pour voir l'Arno couler et sourit. Des enfants en sortie y poussèrent leur instituteur et lui jetèrent leurs sacs sur sa tête pour l'empêcher de remonter. Il longeait le fleuve et une mère déjeunant avec sa famille se défenestra, s'écrasant à ses pieds. Il ramassa le pain qu'elle tenait dans sa main encore chaude et s'assit sur un banc de la Piazza della Signoria. Il donna le pain aux pigeons et des touristes se jetèrent sur eux pour les dévorer crus. Il rit de sentir le vent sur son visage et bébés et mourants hurlèrent comme des bêtes pour ne plus entendre ce bruit.

Aujourd'hui, le Diable avait erré dans la ville choisie par le Prince déchu, et la Cité du Lys n'avait pu garder cachés tous les vices et les souillures qu'elle dissimulait sous sa beauté. Ce cyclone de péchés et de violence, qui avait Florence dans son tourbillon et pour œil Lucifer, fut visible jusqu'au Paradis.

***

Les pas de Lucifer finirent par le ramener à la demeure de Haziel, toujours absent. Après une douche, il se mit à fureter dans l'appartement, quelques chats le suivant en miaulant. Il était en train de contempler, circonspect, un monochrome bleu de Klein que jouxtait un monochrome noir de Soulages, lorsqu'il sentit une présence apparaître derrière lui.

— T'es qui, toi ?

Lucifer se retourna. À quelques mètres de lui, se tenait un garçon. La vingtaine, pas plus, de longs cheveux décolorés et abîmés, des ongles à la peinture noire écaillée, les yeux d'un gris si foncé que les pupilles en étaient indiscernables à cette distance, les habits sombres et pratiques de ceux voulant se mouvoir sans peine dans l'obscurité. Son T-shirt et la peau étaient déchirés au niveau du flanc gauche, pas profondément, mais suffisamment pour que le sang ait imbibé le tissu. Il ne paraissait pas s'en soucier pourtant, trop occupé à fixer l'inconnu qu'il était avec animosité.

Plutôt pourrir sur TerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant