Chapitre Quinze : Confrontation & bazooka

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Si la salle du trône du Diable ressemblait à une cathédrale, celle de l'archidémon du Premier Cercle rappelait plutôt un grand et sinistre jardin d'hiver englouti. Derrière les immenses vitraux sans couleurs, aux formes absconses, l'eau était si opaque de suie que l'on devinait à peine les formes monstrueuses qui y nageaient.

À une telle profondeur, nulle lumière ne perçait. Mais plus qu'à aucun autre endroit, on y était proche du cœur de l'Enfer, de la géhenne liquide perpétuellement en fusion. La chaleur y était oppressante, presque asphyxiante. Elle l'était d'autant plus que les seules lumières de la salle venaient des braseros, disposés en pentagramme inversé sur un sol fait de noirs galets coupants broyés de la plage infernale. Des flammes smaragdines aux nuances grisâtres y brûlaient continuellement, alimentées par les âmes des damnés. Aux grésillements de leurs peaux qui se fendaient, se mêlaient de temps à autre des geignements plaintifs. Et l'odeur de leur chair grillée couvrait presque celle de pourriture que charriait la mer infernale.

Les brasiers projetaient leurs ombres mouvantes et glauques sur le trône de Léviathan, placé au centre du pentagramme. Ce n'était d'ailleurs pas un trône à proprement parler, mais une monumentale vague de géhenne cristallisée, que l'on devinait encore flamber à l'intérieur. Sa forme et sa taille devaient sans nul doute permettre d'accueillir les nombreuses ondulations du corps serpentin du prince de l'Envie. Toutefois, c'était Belzébuth qui était perché à son sommet lorsque Satan apparut, déchirant la toile entre les dimensions dans un fracas de fin du monde. L'archidémon s'inclina en une posture moqueuse.

— Notre bien aimée Majesté nous fait l'honneur de sa présence.

— Je ne suis pas d'humeur à jouer, Belzébuth.

Le sourire du Prince de la Gourmandise s'effaça. Il sauta avec une grâce insoupçonnée pour un être avec une tête aussi disproportionnée, ses ailes tendues ralentissant sa chute.

— Crois-tu que c'est ce que nous faisons ?

À peine ses pieds eurent touché le sol qu'il s'empara de ses marteaux.

— Je n'ai jamais joué, Satan. Et aujourd'hui, tu vas enfin me prendre au sérieux. Ce sera même la dernière chose que tu feras.

— Il est vrai que je t'ai laissé manigancer longtemps à ton aise. Mais tu as été trop gourmand. Ce qui va arriver aujourd'hui, c'est la fin de ton règne, Prince du Cinquième Cercle.

Satan irradiait d'obscurité. Elle semblait se concentrer dans le cercle parfait de ses cornes, plus que jamais ténébreuse auréole. Les étoiles mourantes dans ses yeux devinrent supernovae, alors qu'il levait le bras gauche en l'air. Les flammes des braseros s'élevèrent en un maelström jusqu'au creux de sa paume, devenant pourpres à son contact. Dans un soupir collectif, les damnés s'endormirent enfin. Il ne cherchait pas à l'effrayer, comme il l'avait fait il y a longtemps, lors de la réunion des Péchés capitaux. Belzébuth était devenu trop puissant pour ça. Ce la n'empêchait pas qu'il comptait bien lui faire passer le pire moment de sa trop longue vie.

— Que tu cherches à me renverser est une chose. Il faut bien se divertir, c'est long, une éternité. Que tu cherches à envoyer les nôtres à la mort contre le Paradis en est une autre, qui à elle seule suffirait à te faire perdre tes titres. Mais que tu t'en prennes à ce qui est mien... Je ne me satisferai pas moins que de ta tête en réparation.

— Léviathan espérait que cet humain te retarde jusqu'à l'arrivée de Michel. Personnellement, j'espérai avoir le plaisir de te fracasser moi-même.

— La prochaine fois, j'éviterai de surestimer les créatures de Sa Déité. Mais suis-je stupide... Il n'y aura pas de prochaine fois.

Le Prince de l'Envie avait aussi fait son entrée. Il glissa le long de la pièce, le frôlant, avant de se dresser jusqu'en haut de son trône. Il était le plus grand, plus grand que tous les archidémons, plus grand que tous les archanges, et pourtant, Satan ne paraissait pas petit devant lui. Les flammes dans sa main cessèrent de tourbillonner dans sa main, devenant une morgenstern de géhenne, encore plus imposante que celle qu'il avait utilisée pour défaire les anges, au Huitième Jour. Si nombreux étaient ceux qui s'étaient révoltés pour leur liberté, c'était, déjà à l'époque, l'ambition dévorante de Belzébuth qui l'avait amené à se battre à leur côté. Celui-ci n'avait jamais cherché à s'en cacher, le Diable en avait toujours eu conscience. Mais concernant Léviathan, il avait été surpris. Il pouvait au moins lui reconnaître ça, bien que jamais il ne l'avouerait à haute voix.

Plutôt pourrir sur TerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant