⸺ C'est pas la fille de la professeure qui a été assassinée ?
C'est la première phrase que Deepali Malhotra entend en posant ses pieds dans le Poudlard Express. Bienvenue chez les sorciers. À ses côtés, Eugénie attrape son bras puis l'attire vers l'un des compartiments.
⸺ Ne les écoute pas, Ali'. Tu connais comment ça se passe. Une nouvelle information stupide viendra amuser leurs vies dans quelques jours. Deux élèves gryffondor de troisième année qui s'embrassent dans les toilettes ou une chute de balai lors du match de quidditch de vendredi. Ça va passer. J'te le promets. Tout ça va s'atténuer.
Mais est-ce que cela sera le cas de sa douleur ? Celle qui brûle son estomac, qui se love dans sa poitrine à chaque fois qu'elle entend son nom de famille, qui remonte sa trachée sous forme de bile quand elle se réveille, qui mouille son oreiller quand elle se couche. Elle s'assoit maladroitement sur l'une des banquettes. ( Est-ce que cela cessera ? )
Le deuil est une drôle de chose, elle se doit de le dire. Un jour, on pense avoir laissé cela derrière soit ; avoir oublié. Puis le lendemain, on se lève avec une larme séchée sur la joue, un mauvais rêve encore tatoué sous nos paupières tombantes et l'impression d'être de nouveau en manque de quelqu'un, de quelque chose. Comment franchir les étapes de celui-ci, quand on n'arrive même pas à réaliser qu'il existe ? Les rires d'Amma imprègnaient encore sa chambre quand elle est partie de chez elle ce matin ; et si ce n'était pas le cas en rentrant ?
⸺ Je sais, j'ai juste... Je sais pas. J'ai besoin de temps, j'imagine ? Maman disait qu'il guérit tout mais j'en suis pas sûre. J'crois que certaines choses restent douloureuses jusqu'à la fin ? Qu'on arrive jamais vraiment à s'en détacher. À s'en libérer. Ou à guérir. On finit juste par vivre avec.
⸺ C'est peut-être ça le deuil, Deepali. Garder l'amour qu'on avait pour cette personne jusqu'à ce qu'on la rejoigne, ne jamais cesser de sentir notre cœur battre. Tu n'as pas besoin d'en guérir. L'amour n'est pas une plaie.
L'amour n'est pas une plaie. Eugénie Lagarde a toujours su trouver les bons mots. Aujourd'hui encore, ses paroles viennent rassurer Deepali. La cajoler.
⸺ T'as peut-être raison. ( Dit-elle. )
⸺ Bah c'est toujours le cas, de toute façon. ( Eugénie rit et le soleil se lève dans le wagon. La météo anglaise est moins capricieuse, quand la chaleur de sa voix se propage sous la peau de Deepali. )
Un orage approche ; non, ce n'est que le chariot de friandise, dont les roues hurlent sous le poids des sucreries. À en juger par ses couleurs délavées, il doit dater de la création de l'école de magie. ( La peinture écaillée s'en va. )
⸺ Vous désirez quelque chose, mes enfants ? Dragées surprises de Bertie Crochue, Chocogrenouilles et Sorbets Citron. J'ai tout ce que vous désirez !
⸺ Non merci, madame ! Ça va aller.
⸺ Pour ma part également, merci !
⸺ Vous savez pas ce que vous rater, les filles. Avec un peu de chance, vous seriez tombé sur le nouveau parfum. Tarte aux myrtilles ! J'aimerais tenter de l'avoir, mais j'ai bien trop peur de tomber sur Chaussettes sales pour ça.
Les deux amies se marrent, puis, avec un sourire chaleureux qui s'étend jusqu'aux coins de ses grands yeux, la gentille dame s'en va. La douce odeur de son chariot laisse un parfum sucré dans le compartiment de nos deux poufsouffles, Eugénie Lagarde l'hume avec enthousiasme, grand sourire aux lèvres et yeux noisettes qui pétillent ; elle a toujours préféré le sucré au salé alors que son amie Deepali Malhotra, elle, a un léger goût prononcé pour ce dernier. Une petite différence qui les concilie souvent, notamment lors des buffets d'accueil où elles se partagent avec joie leurs assiettes, volant une pâtisserie dans l'une et attrapant un morceau de fromage dans l'autre. Ah, ce fameux buffet... la seule chose que Deepali attend avec hâte, aujourd'hui.
⸺ Qu'est-ce qu'elle est adorable, cette dame. Pas toi, darling ? J'espère qu'elle sera là jusque notre dernière année, la prochaine. J'aime son sourire. ( Confit Eugénie, debout. )
Eugénie referme la porte, mais pas assez rapidement. Deepali a le temps d'entendre Narcissa Black, une élève de serpentard, parler avec Bellatrix Black, sa grande sœur. ( Décidément, cette famille ne veut vraiment pas la lâcher. ) Cissy dit : J'savais pas qu'elle était morte. Et Bella lui répond : Moi j'étais au courant. Et l'instant d'après, son rire sardonique lui glace le sang.
Est-ce tout ce dont on parle ? Jamais Deepali n'avait entendu son nom être prononcé en six ans. ( Enfin, dans un contexte comme celui-ci. ) Mais cela n'est-il pas ce qu'elle souhaite ? Être populaire ? L'autre soir, Malhotra a reproché à Sirius Black de ne pas la connaître, de ne pas savoir qu'il elle était, de ne pas avoir connaissance de son prénom, et maintenant que c'est sûrement chose faite, elle se plaint ?
Elle soupire. Sa jambe tremble sous la robe d'ébène qu'elle porte. Tout ce que Deepali souhaite, désormais, c'est la paix. Arrivera-t-elle à retrouver un jour celle que sa mère lui apportait ?
⸺ J'ai hâte d'arriver au château, pas toi ? ( Demande Eugénie, insouciante. Celle-ci n'a pas encore eu vent des rumeurs absurdes qui se passent de bouche en bouche. La blonde ne peut pas concevoir cela. Ne peut imaginer un monde où reigne la méchanceté. Deepali ne sait pas si Eugénie est une imbécile ou une idéaliste ; ne sait pas ce qui est pire. )
Son regard est dirigé vers l'extérieur. Il est temps pour elles de remettre de l'ordre dans leurs affaires. Les élèves, jeunes et anciens, chahutent dans les couloirs étroits recouverts d'une fine tapisserie couleur bleu canard, les nombreuses valises pleines de pulls en laine et d'écharpes faites de même matière, chacunes aux couleurs de leurs maisons, s'entrechoquent et les quelques élèves retardataires enfilent péniblement leurs robes de sorcier. Il est là ! Visible devant eux : le château. Le vacarme s'amplifie. Les parois du compartiment tremblent sous leurs pas. Les deux poufsouffles, Deepali et Eugénie, ont toutes deux l'impression d'assister à un défilé militaire. ( Alors qu'ils marchent, main dans la main, vers le champ de bataille, Deepali s'en veut de penser à déserter sans avoir l'autorisation ; Amma aurait dit non. )
⸺ Le trajet semble toujours plus long à l'aller.
⸺ Parce que tu as hâte de revenir ici.
⸺ C'est logique, Dee ! C'est chez nous.
Elles descendent du train, la brunette traîne derrière elle un boulet de forçat attaché à sa cheville. ( C'est la main de sa mère qui s'agrippe à sa peau. )
Et voilà : s'offre à elle Pré-au-Lard et ses pavés abîmés par les intempéries anglaises. Devant elle, tous les élèves se pressent vers le haut portail en fer forgé. Ceux qui ont hâte de retrouver Poudlard. Ceux qui veulent s'abriter du crachin. Ceux qui fuient les autres. Et surtout, ceux qui fuient eux-mêmes. Deepali fait partie de cette catégorie ; de l'avant-dernière aussi, pourrait-on dire, si seulement on osait le faire. Le concierge de l'école, un vieil homme au nez aquilin et aux yeux couleur de sel, doit inspecter leurs bagages un à un. ( Pour une question de sécurité, dit-on. ) Alors elle récupère sa valise, qu'elle trimballe depuis sa première année ici, celle dont les coins en cuir sont subtilement décollés, puis, sans prévenir, quelqu'un la bouscule dans son dos, tentant déloyalement d'être devant elle dans la file d'attente. ( Elle aurait dû s'y attendre ; elle aurait dû savoir. Car ça ne pouvait être que lui. Ses cheveux noirs cachant son visage de traître. De charlatan. Sirius Black. )
loml. ✷ san6ro.