Deepali n'avait jamais vu Sirius Black aussi sérieux. Ses mains croisées, ses sourcils froncés, ses cheveux bruns se laissant glisser sur son front couvert d'une sueur inapproprié, ses manches remontées jusqu'à ses coudes pointus, son talon d'Achille fracassant le sol ; il boîte depuis quelques temps, cela est subitement survenu après une nuit, la poufsouffle s'en rappelle très bien, de pleine lune. Il tente de le cacher, l'état s'étant amélioré depuis, mais la trace d'une telle blessure risque de rester un moment, surtout si Sirius se force à faire comme si de rien n'était ; c'est comme cela qu'on ne guérit jamais !
A-t-il d'autres blessures qu'elle ne voit pas à l'oeil nu ? Un souvenir d'enfance qui hante ses nuits, un regret tapissé à son palais laissant un goût amer dans sa bouche, une chute dans un escalier causant une bosse sur son petit front, une chemise déchirée par la nuit, une pierre coincée dans sa chaussure, une tarte aux pommes pas assez cuite ; et la punition qui va avec, une tarte aux pommes trop cuite ; et la punition qui va avec. ( Deepali a entendu dire que, chez les familles les plus riches, tartes et d'autres de ses mets sucrés et salés favoris sont soigneusement préparés par un groupe de créatures dont elle n'avait pas fait la connaissance avant d'arriver jusqu'ici à l'école : des elfes de maison. Esclaves modernes, dirait sa maman. Elle n'a jamais apprécié le fait que ce soit normal en Angleterre. Où elle a grandi, cela ne l'était pas. La différence culturelle entre le pays des ancêtres de la famille de Malhotra et celui d'une partie de la descendance de celle-ci avait commencé ainsi, lors d'une visite non-anticipée chez sa correspondante anglaise qui devint par la suite son amie, lorsque la bête s'était avancée vers elle, théière à la main. Si sa mère la voyait ! Sa fille se rend chaque jour voir ces petits êtres en action dans les vastes cuisines de ce château, et elle le fait volontiers ; est-elle un maillon de cette chaîne ? Celui qui regarde cela sans rien dire, sans se prononcer sur cette situation, vaut-il mieux que celui qui en donne l'ordre ? La réponse à cette question risque de déplaire à notre anglaise. )
Le malheur des autres entache le sien.
Depuis cette après-midi d'automne où sa mère lui a gâché le plaisir de goûter ce fruit caramélisé, elle évite les tartes aux pommes à problèmes, sans voir la réalité en face : c'est ses mains, ou son inattention, qui ont fini par provoqué la colère d'Amma, pas le dessert, mais elle ne peut faire abstraction de ça. Le souvenir d'une main ayant l'habitude de caresser son doux visage brun s'est estompé, laissant place à la honte et le mal déjà fait. Le professeure Malhotra n'a jamais recommencé ; n'en a pas eu besoin. ( Deepali a gardé la marque de ce mauvais geste sur ses joues rondes héritées de sa mère. ) Elle se demande parfois si Amma regrettait cet instant, si elle s'en souvenait ; du jour où elle a frappé sa fille pour la première fois. Il est possible que ce ne soit pas le cas. Il est possible que tout cela fût flou dans la tête de sa mère. Pour Deepali, se fût la journée la plus importante de toute sa vie, rencontrant la violence pour la première fois. Pour la mère Malhotra, c'était juste un mardi. Et elle nage aux côtés de ses remords anonymes ; celui de n'en avoir jamais reparlé avec elle faisant office de bouée de sauvetage. Il est temps de lâcher l'affaire. Les morts n'ont que faire des regrets d'une jeune femme perdue en mer, ma petite épave, alors laisse l'océan te reprendre. L'eau remplira tes poumons et, enfin, ce vide en toi aura disparu avec ton histoire.
Ah, ce que Dee' donnerait pour avoir les pieds dans l'océan, actuellement. Et pour sortir la tête de l'eau. Jamais Amma ne lui a parlé de son père. ( Il arrive à Deepali de penser qu'il était marin, qu'il l'est toujours. Et que, un jour, il fera une escale dans sa vie. )
Comment fait-on pour retrouver un parent ? Est-ce même possible ? Elle a entendu parler des enfants retrouvés par leurs parents biologiques, ça bien après la naissance, mais dans l'autre sens, elle n'en a jamais entendu parlé, peut-être parce que personne ne s'est retrouvé sans père dans son quartier, peut-être parce que c'est une chose à Fulham qu'on préfère garder secret ? Quoiqu'il en soit, cela ne l'aidera pas dans son enquête. ( Tient, en parlant d'enquête... On semble mécontent de l'autre côté de la table. Deepali avait presque oublié la triste raison de sa présence ici, dans la pièce commune Gryffondor ; mal décorée, d'ailleurs ! )