12. Le rêve

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Deux choses bien précises décorent le temps. D'abord, les chansons d'amour qu'elle a compilé, celles qui suivent les humeurs de son cœur, qui traduisent comment elle se sent, et comment elle voit l'amour avec un grand A à chaque recoin. Les voix, les instruments, c'est la bulle parfaite. La deuxième ? Le bruit des touches de son clavier. E, M, A, espace, T, I, E, N, S, espace effacer, effacer, T. Ses doigts bougent vite, plus vite que son cœur, mais malheureusement bien plus lentement que sa tête.

Elle fait des pauses, reste avachie, change de chanson. Elle se repousse contre le dossier de son siège. Elle écrit, puis elle sourit, parce que « Putain que c'est mignon. » et que merde, est-ce qu'elle aura droit à ce genre d'attention un jour ? Elle espère.

Les noms défilent, leurs histoires aussi. Celles qu'elle a vu, celles qu'on lui raconte. Celles qu'elle pense que tout le monde mérite. Parce que c'est vrai, si l'amour romantique est le thème le plus récurrent, quelque part c'est qu'il doit être important.

Peut-être que l'amour romantique ne fait pas tout, mais il fait assez. Elle en veut un peu aussi.

C'est quand même parce qu'il a aimé sa femme que John Wick a quatre films. Alors que disons-le, ce ne sont pas des films d'un grand romantisme. Sans parler des guerres dans les récits épiques qui partent d'une querelle amoureuse. Si ce n'était rien, si c'était vraiment secondaire, ça se verrait, non ? Il y aurait aussi beaucoup moins de fleurs bleues dans la poésie, dans la peinture, dans la musique.

Pourtant non. C'est bien là. Tout le monde veut aimer et être aimé·e. Et merde à la fin, elle aussi.

Une sonnerie qui devrait maintenant lui être familière retentit dans la pièce et la prend par surprise. Elle baisse le volume, se lève et fait le tour de son bureau pour aller à la bibliothèque près de la porte. L'écran du smartphone posé sur le faux bois montre une notification.

Jetant un œil au bureau, elle hésite. Elle était lancée, et si elle regarde maintenant, ça va lui mettre un bon gros coup de frein. En même temps, si elle ne voulait pas être interrompue, elle aurait mis le mode silencieux. Chose qu'elle fait habituellement d'ailleurs, mais pas aujourd'hui. Sûrement parce qu'aujourd'hui elle attend.

Le message est simple et pourtant il la rend confuse.

« Je peux passer ? »

Dehors, le ciel est noir, quelques nuages reflètent la vie nocturne bien occupée. On est samedi soir, et elle comptait rester à son bureau, écrivant tranquillement la sortie d'Ema et Will, en attendant qu'on l'emmène faire pareil. Elle a eu une longue semaine chargée, et elle a besoin de rêver paisiblement.

Pendant quelques secondes même, elle rêve, debout près de la bibliothèque à côté de la porte, smartphone en main, yeux perdus sur la fenêtre qui donne sur le néant.

Dans ce rêve, il passe. Elle lui ouvre la porte, l'accueille poliment pendant qu'il raconte pourquoi il est là. Sa soirée a pris une tournure épuisante, il a eu un déclic, ou bien la musique était nulle. Et comme il connaît les bonnes manières, il ne vient pas les mains vides, il a... une glace attrapée à la volée au fast-food le plus proche, parce qu'il est presque 23 heures et que tout ferme dans ce coin de la ville. Il lui tend en espérant l'amadouer, elle fait mine de le trouver stupide mais accepte volontiers le cadeau. Puis ils vont dans son bureau où elle continue d'écrire pendant qu'il feuillette les livres de la bibliothèque, ou bien il prend le tabouret de secours et s'assoit près d'elle. Il lui demande qui sont Ema et Will, comment s'appelleront les prochains, d'où lui viennent ces idées. Elle fait semblant de ne pas savoir, pendant qu'il prend discrètement tous les conseils qu'elle offre sans lui dire. À la fin, ils se calent au lit, elle continue de piailler sur toutes ses idées pendant qu'il lui caresse les cheveux et ils s'endorment comme ça.

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