Attendre que la queue avance s'avère laborieux. Il y a du monde, et même si c'est loin d'être une surprise, c'est agaçant. Surtout pour Nia qui veut juste aller s'asseoir sans se faire bousculer par tous ces gens.
Il y a trop de personnes, de bonne humeur et le sourire aux lèvres, il n'empêche qu'elle serre son bouquet de roses contre elle. Elle ferme les yeux, et prie silencieusement que la soirée se passe bien. Après tout, ce théâtre est connu pour être... ouvert d'esprit. Sa respiration devient légèrement saccadée, elle préfère le confort de sa maison. Pourtant elle supporte, et elle tient. Ce soir, son attention est concentrée.
Elle avance d'un minuscule pas à chaque minute, l'attente est agonisante. On la pousse, par moments elle se fait surprendre par ceux qui parlent fort, et des enfants courent dans tous les sens le long de la file.
Enfin elle arrive à l'entrée. L'homme chargé de la sécurité lui sourit, et alors qu'elle ouvre son sac pour qu'il vérifie ce qu'il y a dedans, il secoue la tête et lui donne le feu vert. Elle peut respirer. Quand elle montre son billet, la vieille dame de l'accueil lui sourit aussi. Elle lui souhaite de passer un excellent moment avec la compagnie de Folie, et de profiter de la pièce. Elle complimente aussi ses fleurs. Nia se sent bête de lui souhaiter une bonne soirée et bon courage, mais elle le fait quand même.
Le staff l'oriente vers sa place réservée au troisième rang. Celui-ci et les deux premiers sont majoritairement vides quand elle s'assoit. Tous les sièges autour d'elle sont réservés, et de toute évidence, quand on réserve, on n'a pas besoin de venir aussi tôt qu'elle l'a fait. Pour sa défense, Nia a rarement le privilège de s'asseoir sur un siège avec une feuille A4 le signalant comme réservé.
Assise et prête, elle retire sa veste en faisant attention aux fleurs. Elle les garde sur ses genoux, cale son sac sous son siège et observe les alentours. C'est un théâtre qui ressemble à une arène, et là où elle s'attendait à voir des rideaux rouges, il y a des rideaux noirs. C'est une grande salle qui met du temps à se remplir. Le brouhaha qui y règne la gêne mais elle sait qu'il s'arrêtera dès que les lumières baisseront. S'il y a bien quelque chose que les blancs savent faire, c'est respecter les institutions qu'ils estiment au-delà de tout. Le théâtre en est un exemple parfait. Ça veut aussi dire qu'ils sont un très mauvais public pour tout ce qui relève des arts communautaires, et elle est bien contente de ne pas les y voir.
Les sièges se remplissent, et même s'il reste une place libre par-ci et par-là, le téléphone de Nia indique 21 heures. Les lumières baissent, une voix se fait entendre dans la salle.
— Bonsoir Mesdames, Messieurs, Mx, un mécontentement général s'élève et Nia lève les yeux au ciel, bienvenue à vous, la représentation va commencer. Nous comptons sur vous pour mettre vos appareils électroniques en mode silencieux, et de ne prendre ni photo, ni vidéo, pour le respect de toutes les personnes impliquées. Merci de votre compréhension. Nous vous souhaitons un bon spectacle.
Plus une personne ne parle, ses yeux sont fixés sur les rideaux, impatiente qu'ils s'ouvrent.
Ils dévoilent un bar, délabré, abandonné. Au milieu, deux hommes, accoudés à une table qui tient à peine debout. Ce sont deux frères, ils boivent, et font le deuil de l'affaire familiale. Leurs voix portent, leur mélancolie atteint Nia dans une certaine mesure. Ses doigts tapent un rythme régulier sur le bouquet.
Sur scène, les répliques s'enchaînent, certaines blagues viennent alléger l'ambiance morose, et le public se fait manipuler tranquillement. La dernière fois qu'elle est venue au théâtre, c'était au lycée. Autant dire que ça fait un bail.
Certains acteurs entrent sur scène, d'autres sortent. Et après trente longues minutes, le personnage de Mireille apparaît. C'est une jeune femme avec un nom de vieille. Il n'empêche que le souffle de Nia se coupe, ses mains se calment assez pour serrer le bouquet. Elle a arrêté de respirer, la salle toute entière est en admiration.
C'est trop simple de dire qu'elle est magnifique, c'est trop simple de dire qu'elle parle bien. Non, Mireille, pour le peu de réplique qu'elle a, capte toute l'attention. Sa tenue décontractée donne envie à Nia de filer au lit, sous une grosse couette avec un bon film. Sa voix, mélodieuse et assertive la charme, elle et le reste du public. Ses intonations, son énonciation parfaite de chaque parole, les autres acteurs s'effacent. Ils ne lui arrivent pas à la cheville.
C'est un personnage secondaire, elle entre, dit trois phrases, et repart. Pour autant, elle vole la vedette systématiquement. Nia est à deux doigts de jeter son bouquet sur scène en plein milieu de la pièce. Pour occuper ses mains, elle joue avec ses box braids. C'est sans espoir. Mireille illumine la salle, radieuse et talentueuse, l'actrice vole tous les cœurs du public.
Sans elle, la pièce redevient banale, divertissante, mais banale. Nia a bien remarqué que l'actrice qui joue Mireille est le diamant de la troupe. Elle éclipse tout le reste.
Trop attentive à cette perle, elle est prise de surprise quand les lumières se rallument et que les gens autour se lèvent pour applaudir. Les acteurs ont la banane, ils s'inclinent, une fois, deux fois. Main dans la main, ils boivent ce qui est en train de se passer. Nia laisse le bouquet sur son siège et se lève pour rejoindre le reste du public. Certains sifflent, certains crient. C'est un beau bordel, et elle a du mal à croire que ce soit déjà fini.
Elle croise le regard de Mireille. Le temps s'arrête. Autour c'est la pagaille, mais le chemin est clair, la voie est libre. C'est une éternité contenue à l'intérieur de quelques secondes.
La troupe pointe à la régie, montre le public, et s'incline une dernière fois avant de quitter la scène. Le cœur de Nia bat la chamade, elle reprend sa place, toujours en faisant attention aux fleurs, pendant que la salle se vide. Elle attend quinze minutes sur sa chaise avant de pouvoir partir.
Dehors, l'air froid de la nuit la fait frissonner. Elle regarde aux alentours, cherche un panneau particulier, et finit par suivre une petite famille qui contourne le bâtiment. Ils s'arrêtent tous devant une porte métallique peinte en bleu. C'est l'entrée et la sortie des artistes.
À côté d'elle, deux parents et leur fille de huit ans discutent de la pièce. Elle sert le bouquet, en espérant que ce soit suffisant.
Son cœur fait un bond quand après vingt minutes, la porte s'ouvre. Seulement, c'est un homme, de la trentaine, qui sort. La fille court vers lui et se jette dans ses bras. Il fait un grand « ouf » en la rattrapant.
— Mélissa va falloir se calmer, t'as plus 5 ans, j'ai plus assez de muscles pour ce genre de choses.
Il s'empresse de la poser, mais la sert contre lui quand même.
— La pièce t'a plu ?
Elle hoche la tête et ses parents les rejoignent.
— Dis tonton, on peut revenir te voir demain ?
Nia sourit mais n'a pas l'occasion d'entendre la réponse. La porte s'ouvre de nouveau, et cette fois c'est toute la troupe qui sort. Ils discutent, ils rient. Ça parle du moment où Thomas a improvisé une réplique, et de quand Giulia a failli rater son entrée sur scène à cause de sa robe.
L'actrice qui fait Mireille est là, au milieu. Elle est radieuse.
Ses yeux tombent sur Nia, son sourire grandit encore plus. Elle s'éloigne du groupe pour la rejoindre, et pose ses lèvres sur les siennes. Nia manque de lâcher le bouquet. Elle glisse sa main sur la taille de Jay et l'embrasse en retour. Quand elles arrêtent, l'actrice a ses mains sur les épaules de la spectatrice, heureuse comme c'est pas permis.
— Alors mon cœur, t'en as pensé quoi ?
Pour seule réponse, elle lui tend le bouquet. Comment lui dire qu'elle était époustouflante, exquise et majestueuse sans avoir l'air ridicule ? Jay accepte les fleurs, les sent et en restant collée à elle, se tourne vers ses collègues.
— Vous avez vu, moi on m'amène des fleurs !
Les acteurs rient encore et viennent à leur rencontre.
— Donc les amis, commence Jay, voici Nia, ma copine.
Deux d'entre eux lui serrent la main, certains hochent la tête, et d'autres la saluent de loin. Nia est un peu submergée par tout ça, mais Jay est à ses côtés, et ça rend les choses tout à fait supportables, si ce n'est délicieuses.
VOUS LISEZ
Tranches de Romance
RomansaTranches de vie, romance. Chaque chapitre suit un couple différent, dans ces moments que l'on connait trop bien. Quand les choses sont encore incertaines, mais qu'à notre insu, les sentiments d'amour sont bien là. Ce sont des moments simples, bien r...