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Santé et pauvreté ne font pas bon ménage.

C'est cette même constatation que la CAH (Compagnie Accompagnatrice Humanitaire) a retranscrite à l'international, deux ans avant que la Terre ne perde la moitié de sa population. Encore aujourd'hui, les causes d'apparition d'un virus aussi dévastateur restent floues.

Dix ans après la déclaration du virus.

Noah sortait d'une soirée bien arrosée avec ses compagnons d'infortune. En règle générale, il se refusait de participer aux célébrations, quelles qu'elles soient. Mais maintenant qu'il n'avait plus à alterner entre deux heures de sommeil et deux heures de révisions chaque semaine pour ses partiels, la vie lui semblait avoir un doux et addictif goût sucré.

Cet après-midi, on venait de piétiner tous ses espoirs, tout ce à quoi il aspirait. Et pourquoi ? À cause d'un professeur qu'il s'était mis à dos en réfutant sa théorie sur un potentiel « vaccin » contre le virus. Sa remarque sur la suggestion du professeur quant à sa solution prodigieuse contre le virus fut malheureusement dénuée de tact. Et alors qu'il venait de lancer une réplique courte mais tranchante, il sut qu'il allait regretter cette erreur. Et ce, malgré le fait qu'il ait eu raison (chose qu'il continue de penser aujourd'hui encore), ou bien qu'il était dans un de ses plus mauvais jours. Le mal était fait. Les résultats sont tombés, et il ne faisait pas partie des diplômés.

C'est tout de même rageant de voir son avenir et ses aspirations réduits à néant par l'influence d'un seul individu. C'est pourtant souvent le cas. Et bien que Noah se soit battu bec et ongles pour faire entendre sa voix et prouver qu'il y a eu méprise (si ce n'est sabotage) sur son cas, il n'a pas su amener la forte tête du directeur à entendre raison. Son diplôme était non valide et donc nul. Et dans le monde actuel, il n'y a pas de deuxième chance. Oh bien sûr ! Ses huit ans d'études sur les micro-organismes et les virus mortels lui seront sûrement utiles lorsqu'il examinera les moisissures dans la réserve d'un bateau de formation militaire.

Mais à l'heure actuelle, ses amis de longue date, ou plutôt les élèves de la même promotion qui ont également subi l'échec scolaire le plus affligeant de leur vie (du moins, c'est ce qu'ils en disent), l'avaient convaincu de sortir pour célébrer la fin d'un calvaire qui leur avait pris la moitié de leur vie. Cinquante ans étant devenu le seuil maximal de vieillesse que l'on compte à l'heure actuelle. Ce record est d'ailleurs détenu par Duncan Aronson, l'homme à la tête d'une des plus grandes entreprises du monde, l'une des rares qui soient encore dans la course au remède. Car qui sauve l'humanité, contrôle l'humanité.

C'est d'ailleurs pour cette compagnie que Noah voulait travailler une fois son diplôme en poche.

Le long soupir qui sortit de sa bouche formait un nuage de condensation dans l'air matinal de ce début novembre. Les autres avaient eu un certain culot de lui forcer la main pour sortir et de le laisser seul maintenant que l'heure de rentrer chez eux était venue. Ils étaient partis sans un regard tandis qu'il s'appuyait avec un déséquilibre flagrant contre le mur du bar qu'ils venaient de quitter. Cependant, il est important de noter pour leur défense que son ébriété était vraiment difficile à supporter. Entre ses moments où il parlait fort, les fois où il courait dans une direction approximative, chancelant, et les combats qu'il essayait d'engager avec de parfaits étrangers, Noah n'était vraiment pas de bonne compagnie lorsqu'il avait trop bu.

Cela dit, cette première expérience avec l'alcool n'a pas été si mauvaise, il est de très bonne humeur (chose qui n'arrive pas souvent) et il a pu avoir une véritable conversation avec ces gens qu'il côtoyait depuis des années sans jamais échanger plus que de simples politesses. Pour tout dire, malgré un manque de contrôle flagrant sur son propre corps, sa soirée a vraiment été très agréable.

C'est avec une dernière bouffée d'oxygène qu'il s'employa avec concentration à longer le trottoir d'une marche quasi naturelle. Il tourna une première fois à droite, puis à gauche, frôla la clôture d'une maison de ses doigts comme il le faisait enfant et se stoppa net lorsqu'il prit enfin conscience de son erreur.

Il avait, par habitude, pris le chemin de sa maison d'enfance, une bâtisse construite il y a une trentaine d'années, mais qui n'a plus bougé depuis. Elle est attaquée par les plantes, rongée par le temps, mais elle tient encore. Et Noah n'a pas les moyens de déménager ailleurs de toute façon. Ses emplois à temps partiel lui ont majoritairement permis de payer ses études affreusement coûteuses.

Sa maison se trouvant dans les zones à hauts risques il y a dix ans à peine, le quartier a été abandonné par l'État et ne demande aucun loyer aux rares locataires qui sont toujours présents. Noah emploie le mot « maison » mais il s'agit en réalité d'une résidence comprenant un ensemble d'appartements variés accueillant familles, étudiants, célibataires dans des espaces appropriés. Bien que ce ne soit pas le grand luxe, la vie y était confortable.

Puis il y a eu le premier cas. La famille qui habitait à quelques appartements de là a été la première touchée. La fille cadette a commencé à tousser puis à avoir des poussées de fièvre. Tout est allé très vite. Cependant, bien que la zone en elle-même ne soit plus à risque (enfin, le risque zéro n'existe pas), celles qui l'entourent sont peuplées de malades et de souffrants, des nouvelles communautés à part qui squattent les lieux pour piller les maisons vides afin de survivre les quelques semaines qui leur restent. Ces gens ne pouvaient plus compter sur l'État pour les aider. Cela faisait bien longtemps que l'accueil dans les hôpitaux leur a été interdit par peur d'une propagation trop importante. Et la seule chose que l'État pourrait faire aujourd'hui ne se résume qu'à un mot : ARMÉE. Les fonds du pays ont été déversés dans la recherche d'une solution pour le virus, et ce, durant des années. Si bien que plus aucune institution publique ne reçoit de financement. Laissant les grandes entreprises du monde la liberté d'agir comme elles le souhaitent : écoles, hôpitaux, etc. Tout s'est privatisé. Les entreprises telles que Aronson Corp (AC) ont su sauter sur l'occasion afin de se livrer plus librement à la guerre du remède.

Tout cela pour dire que ce n'était vraiment pas une bonne idée pour un homme seul et saoul de passer par des quartiers aussi dangereux, de nuit, qui plus est. Il était à présent trop tard pour faire son chemin habituel car la police faisait des rondes irrégulières et hasardeuses, connue pour ne pas y aller de main morte avec les interpellations musclées. De plus, les papiers d'identité n'y changeaient rien, si l'on finissait par croiser les forces de l'ordre en pleine nuit, on finissait en prison. Autant nous envoyer dans un foyer viral. Au moins Noah aurait-il moins l'impression d'être un ennemi ou une gêne qu'il faut effacer, emprisonner ou juste condamner à une mort longue et douloureuse.

Il fit le tour de l'ancienne clinique vétérinaire et s'arrêta à une intersection. Devant lui, un ensemble de locaux abandonnés, autrefois utilisés par l'AC pour une première tentative de vaccin qui fut peu fructueuse. C'est à présent un endroit effrayant qui a parfois été utilisé par des gangs pour stocker des produits suspects ou qui ont été témoins de règlements de comptes assez glauques.

C'est un endroit qui dégage parfaitement la violence et les drames qu'il y a eus en ces lieux, et aucune âme errante ne s'en approche de près ou de loin. Même les malades n'ont pas pu y rester plus que quelques heures car ils y auraient entendu des « choses étranges ». C'est une aubaine pour Noah. Oui, cet endroit était terrifiant. Bien plus qu'il ne voulait bien se l'admettre d'ailleurs. Mais n'était-ce pas le moyen le plus rapide et (pour autant qu'il le sache) le plus sûr pour rentrer chez lui ?

Tout n'était qu'une question de contrôle. Il allait prendre une grande inspiration, et traverser avec la plus grande prudence ces hangars et entrepôts, et il serait chez lui en moins de dix minutes. Peut-être même trois s'il sentait un danger et qu'il se carapatait comme un lapin. Noah était persuadé que la peur le ferait assez dessoûler pour reprendre un contrôle presque complet sur son corps. En tout cas, il allait tout parier là-dessus.

Not an Omega (FR)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant