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La faim, la soif, le silence total, comme une page vierge, prête à être écrite. C'est dans ce vide que se cache le message le plus lourd de sens. L'odeur. Cette odeur âcre et pestilentielle qui règne en maître dans ces lieux, une noirceur si dense que même les rayons du soleil refusent de l'éclairer, par pure compassion pour la pauvre créature qui y est confinée. Seule ? Pas tout à fait. Maman et papa sont là aussi. Mais la créature le sait, elle ne trouvera aucun réconfort dans leur présence. Aucune chaleur, aucun espoir. Ici, le temps semble figé dans l'éternité, et seules les douleurs du corps sont encore assez réelles pour la maintenir en vie. Bien que ce mot ait perdu toute signification à ses yeux. Que pourrait-il bien l'attendre s'il s'en sortait ? Il n'y a pas de monde meilleur de l'autre côté. Pourtant, peut-être cela vaudrait-il mieux que de rester face à cette chose qui est là, avec lui, depuis le début. Cette chose qui, depuis le commencement, lui murmure d'une voix torturée : « Ne regarde pas. N'y pense pas. N'essaie même pas de regarder. Si tu regardes, ça devient réel. » Mais c'était déjà réel. C'était déjà arrivé. Il n'y avait plus rien à faire. Alors, la créature rassembla toutes ses forces et fit ce qu'elle s'était interdit depuis toujours. Elle regarda.

Noah se réveilla en sueur, haletant. Les minces rayons de soleil qui parvenaient à percer les rideaux de sa chambre étaient à peine suffisants pour éclairer le bout de son lit, laissant le reste de la pièce plongé dans l'obscurité. Il se précipita vers la télécommande des volets, posée sur sa table de nuit, et enclencha le mécanisme qui les fit monter lentement. Mais la lumière inonda rapidement la pièce, révélant chaque objet. En vérité, très peu. Noah n'avait jamais été du genre à laisser traîner des choses, et il veillait toujours à ce que chaque chose soit à sa place. Aucun objet ni vêtement ne se trouvait sur le sol immaculé de sa chambre.

Le réveil se mit soudainement à biper, un son strident et répétitif que Noah ne prit même pas la peine d'arrêter, car son premier réflexe fut de se précipiter aux toilettes. Une fois arrivé, il ne put retenir le liquide qui montait dans sa gorge et vomit dans la cuvette. Le liquide se mêla à l'eau au fond et la colora d'une sinistre teinte rougeâtre, qui s'accentua avec le nouveau flot qu'il expulsa. À bout de souffle, il arracha un morceau de papier toilette pour essuyer les filaments qui pendaient pitoyablement autour de sa bouche. Après quelques grandes inspirations, sa respiration retrouva un rythme acceptable, et il s'assit sur le carrelage. Après quelques minutes, il osa enfin jeter un coup d'œil à ce qu'il venait de vomir. Ne regarde pas. Si tu regardes, ça devient réel. Après un long soupir de mécontentement, Noah se redressa, tira la chasse et lança l'eau de la douche.

Encore une putain de journée qui commence bien.

En arrivant au travail, Noah salua la plupart de ses collègues, proposant à certains un café bien corsé, avant de s'installer à son bureau. Il avait espéré être affecté au laboratoire pour travailler directement sur la recherche, mais on l'avait relégué aux bureaux de traitement des informations. Ce n'était pas exactement ce qu'il imaginait comme réussite, mais cela lui permettait tout de même d'accéder à certaines informations sur les composants des produits. Bien sûr, pas à toutes. Pour prévenir le vol et les espions, l'entreprise avait mis en place un système de protection assez basique mais efficace. Chaque employé recevait aléatoirement une partie des données envoyées par le laboratoire. Ces données sont confidentielles, et il est formellement interdit d'en discuter entre collègues. L'entreprise dispose même d'un système de caméras et de micros qui détectent sur les lèvres et au son les mots interdits. Inutile de tenter de créer un langage codé, l'entreprise dispose également d'un algorithme capable d'analyser les mots récurrents dans une conversation pour envoyer une alerte aux agents de surveillance, prêts à intervenir 24h/24. Plusieurs collègues ont déjà été emmenés pour un interrogatoire musclé, et la plupart ne reviennent pas.

Les données reçues par chaque employé peuvent n'avoir aucun lien apparent entre elles, même si elles arrivent en même temps et doivent être rendues pour la même date. De plus, un même sujet peut être traité sur une longue période, avec des informations réparties sur plusieurs mois.

Le système est conçu de manière à ce que, si une anomalie est détectée à n'importe quel stade, le serveur efface toutes les données collectées avant de redémarrer. Il est aujourd'hui impossible de savoir où se trouvent ces données. On suppose qu'elles sont entre les mains de la direction de l'AC, mais ce ne sont que des suppositions.

Après trois heures passées à traiter ses dossiers, Noah commençait à ressentir un mal de tête pénible, une gêne commune à tous les employés des bureaux. Déterminé à prendre une pause bien méritée, il quitta son siège, s'étira longuement et se dirigea vers la salle de pause. Consciente des conditions de travail difficiles, l'AC avait aménagé dans chacun de ses locaux de vastes salles de pause, équipées de machines à boissons, d'un coin salon, d'une cuisine et d'une décoration moderne. On pouvait également se rendre sur la terrasse pour savourer sa boisson à l'air frais du mois d'avril.

Après avoir pressé le bouton « café saveur vanille » de la machine, le regard de Noah se perdit dans le paysage en construction qui s'étendait devant lui, depuis que l'humanité avait été sauvée. Ce décor, signe de reconstruction et d'espoir pour la majorité des habitants, suscitait chez lui une nostalgie pour les reliefs montagneux et les forêts sans fin, bien qu'il ait toujours vécu en ville. Avec un long soupir, il attrapa sa boisson et en but plusieurs gorgées. C'est alors qu'il remarqua la présence d'un homme, assis dans le coin salon, qui semblait le regarder.

Il ne fallut qu'un instant à Noah pour reconnaître les traits fins de son visage et la luxure de ses vêtements, même à cette distance. L'homme avait une chevelure dense, soigneusement peignée sur le côté, et un regard perçant. Noah se rendit compte que l'homme ne se contentait pas de regarder dans sa direction, mais qu'il le fixait intensément. Il se détourna nonchalamment vers la vue de la ville, reprenant une gorgée de son café.

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Not an Omega (FR)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant