Episode 1.5

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Ma bouche s'ouvre pour lui répondre que je n'allais quand même pas mentir à un juge, mais je change d'avis au dernier moment.

— Tu as raison, soufflé-je en louchant sur les dates. Ils étaient à côté. Les trois fois. Mais jamais pour des déplacements officiels, c'est pour ça que j'ai pas fait attention ! 

— Si tu veux mon avis...

— Non, mais tu le donneras quand même.

—... c'est aussi à cause de toi qu'elle a accepté de venir à Colmar. Une occasion de plus pour elle de t'éliminer. Elle n'arrêtera jamais. 

Mes doigts froissent la feuille. Depuis des années, cette Ensorceleuse à la noix tente de résoudre le meurtre de ses parents, les précédents représentants Héroïques de la France. 

C'était un des contrats les plus faciles de ma grand-mère : ces eux imbéciles préféraient se pavaner lors de festivals que protéger les Français. Il a suffi à la vieille d'attendre que l'Ordre, las de leur frivolité, retire leurs gardes du corps et le tour était joué. Le lendemain de la décision, à treize heures pétantes, ils s'écroulaient dans le hall d'un centre commercial.

Comment la progéniture des idiots s'est retrouvée sur la piste d'Olivia, je l'ignore. Je sais en revanche qu'elle n'ignore pas nos liens familiaux et pense que m'assassiner est une vengeance idéale.

Elle n'a pas tout à fait tort...

— Je la tuerai avant, affirmé-je à une vieille peau dubitative. J'agirai avant qu'elle n'ait seulement la possibilité de faire du « tourisme », crois-moi !

— Tu sais, j'ai autre chose à faire dans la vie que de sauver le popotin d'un voleur de piles. Et Manuel ne sera pas toujours là pour toi, non plus me prévient-elle. 

— J'ai prévu de le tuer, ça me semble évident qu'il ne sera plus là après. Lui, et elle juste après, ou bien l'inverse en fonction des événements. 

Mon ton affirmatif fait rire Olivia, mais elle ne me contredit plus. Elle hausse les épaules, me souhaite de rester en un seul morceau avant de se lever de son fauteuil. Il se fait tôt, elle va imiter les jumeaux et passer une bonne et longue journée de sommeil. 

Je passe le reste de la journée à faire des allers-retours entre le canapé, où je tente de me reposer, et le bureau, où je ne cesse de vérifier mon plan, perturbé malgré tout par la révélation de ma grand-mère. Ce stress, je n'étais pas censé le ressentir. Tout devait se dérouler au mieux et dans la décontraction la plus totale.

Pour ne rien arranger, la mégère qui avait promis une journée de tranquillité s'est relevée au bout d'une demi-heure. Soi-disant que j'ai besoin de soutien moral et de café. Beaucoup de cafés. Des cafés piégés pour la plupart. Si les deux premiers sont normaux et savoureux, le troisième a été salé. Le quatrième est un cappuccino à la noisette. Le cinquième m'est servi froid, mais j'ai l'habitude d'oublier ceux que je fais couler, donc ça ne me dérange pas. 

Lorsqu'elle dépose une sixième tasse devant moi, une odeur dont je dois me méfier comme des Héros me chatouille les narines. C'est doux et fruité. De la marmelade de fraise. La vieille peau m'a servi un café sucré à la marmelade de fraise !

— Tu croyais vraiment que j'allais me faire avoir ? soufflé-je.

— Je testais juste ton odorat, se justifie-t-elle. On ne sait jamais, si un jour ton nez te fait défaut, tu pourrais te retrouver à manger des fraises par inadvertance, ce serait une catastrophe. 

Je croise les bras et lui rétorque que j'ai toujours des antihistaminiques à portée de main ainsi qu'une seringue d'adrénaline. 

Elle sourit de cet air félin qui me donne l'impression d'être une souris. Si je laisse passer ça, je perds la face. Mes gènes s'agitent, invitent un peu de l'ADN de la musaraigne pour me conférer sa rapidité pendant une seconde et je renverse le café piégé sur la chemise en soie d'Olivia.

Ma grand-mère se fait trop vieille : elle ne réagit pas avant de voir une énorme fleur marron s'étaler sur sa poitrine.

— Oh le petit con ! jure-t-elle. 

— Je testais tes réflexes, mais ils ont l'air moins bon que mon odorat, me moqué-je.

— C'est de bonne guerre, admet-elle à contrecœur. Mais ne t'avise pas de recommencer. Tu ne voudrais pas retrouver toutes tes affaires sur le palier. Et quand je parle de tes affaires, j'inclus les trois sangsues. 

De ce pas si élégant qui la caractérise, elle quitte le salon en bougonnant et ne revient pas, cette fois.

En fin d'après-midi, je me traîne jusqu'à ma chambre et m'endors comme une masse. Ma sieste ne dure qu'une heure : je n'ai pas besoin de plus pour être au top de ma forme. Au lieu de me lever, j'appelle ma grand-mère. Les enfants galopent à ses côtés. Je geins, remue, me plains de maux de crâne. Olivia prend ma température. En frontal, comme pour les enfants. Bien sûr, elle exige que je compte distinctement jusqu'à quinze en chantant. Dans le cas contraire, elle ira chercher le thermomètre rectal. Les enfants pouffent, je m'exécute, non sans lui lancer un regard noir. Après son verdict, 39 de fièvre, elle me force à avaler une soupe immonde – je préfère ne pas savoir ce qu'elle a mis dedans – avant de chasser les enfants au salon. Peu après, j'entends une princesse guimauve beugler son bonheur.

Dans le plus grand silence, je m'extirpe de mon lit. Sur la pointe des pieds, je gagne mon armoire, l'ouvre et fouille son contenu des yeux.

— Tu es sûr de toi, Valdrig ? Tu peux encore abandonner.

Dans l'embrasure de la porte, une silhouette un peu avachie.

— Jamais. Au pire, je meurs en antihéros. 

Elle claque la langue, réprobatrice. 

— Le plus probable, c'est que tu finisses en prison, pour une fois. Tiens, je vais regarder les événements depuis mon smartphone histoire de ne rien louper !

Je ne suis pas dupe, et elle le sait. Elle ne le dira jamais à voix haute, la vérité c'est qu'elle tient à moi et ne veut pas me voir mourir. Si elle va tout suivre de son smartphone, c'est pour intervenir en cas de besoin. J'imagine que son arme est déjà prête au cas où.

Inquiète, oui. Par contre, pour me faire confiance, y a plus personne.

Cette constatation me laisse indifférent : je suis la honte de la famille depuis tellement d'années...

En silence, j'enfile mes bottes doublées en fourrure. Trop chaudes pour la saison, il est vrai, néanmoins leurs semelles ne produisent aucun son, idéal pour surprendre mes futures victimes. Mon poncho noir me camouflera parmi les ombres. Une dernière vérification de mes ongles taillés en pointe et je suis prêt. Si je dois transgèner en guêpe, c'est le meilleur moyen d'inoculer du venin !

Je ne prends ni sac à dos ni sacoche, ni rien qui pourrait entraver mes mouvements. Mon seul bagage sera un Ilopen, couteau pliable spécialement affûté pour l'occasion. Il attend contre ma cuisse gauche, dans la poche de mon survêtement. Olivia s'étonne, tente de me convaincre d'emporter au moins mon téléphone, on ne sait jamais, en cas d'urgence pour les enfants. Je cède avant de me faufiler dehors.

V comme  ̶V̶i̶l̶a̶i̶n̶  ValdrigOù les histoires vivent. Découvrez maintenant