Chapitre 17 - Un dieu parmi les mortels

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Aïonn manqua de s'écrouler en apparaissant soudainement dans l'Enclave, déstabilisé par ce brusque changement d'environnement.
Il se trouvait dans une forêt humide et légèrement brumeuse, entouré de hauts arbres, face à une étrange formation de roches foncées.
C'était la première fois qu'il se trouvait dans le monde des mortels mais il avait pourtant la sensation de le connaître parfaitement à force de l'observer et d'en apprendre à son sujet.
Après sa conversation avec Aïonn dans le morose domaine de ce dernier, Eli'ëll était allée avertir les autres dieux majeurs du panthéon elfique du fait qu'il avait capté la présence de Kaëv'ah dans l'Enclave. Comme Aïonn, les divinités supérieures n'avaient pas été pleinement convaincues mais Earön'd avait finalement décidé d'envoyer quelqu'un parmi les mortels pour investiguer à ce sujet et vérifier si Kaëv'ah s'y trouvait bien.
Après tout, résoudre la disparition de la déesse et la ramener dans la dimension divine était l'urgence absolue pour tout le panthéon elfique car cette absence en menaçait l'équilibre cependant, en un sens, Aïonn avait la sensation qu'Earön'd avait plus accepté davantage pour que son enfant cesse d'insister auprès de lui que parce qu'il se sentait particulièrement préoccupé par tout cela.
Prendre le risque qu'une autre divinité principale disparaisse à son tour n'étant absolument pas envisageable, ils avaient choisi d'envoye rAïonn pour mener ces recherches. Ils espéraient que son lien avec Kaëv'ah, en tant que son jumeau, puisse l'aider à retrouver cette dernière mais c'était surtout car, comme Elië'll l'avait dit la dernière fois, il était sacrifiable et il en avait parfaitement conscience.
Le dieu inférieur n'avait pas eu envie de se rendre parmi les mortels et il ne s'était pas proposé pour le faire, mais on l'y avait obligé. Après tout, la disparition de sa jumelle ne le touchait pas réellement comme il n'avait jamais eu l'occasion de la connaître. D'ailleurs, il redoutait la possibilité de la rencontrer, craignant qu'elle ne se comporte avec lui comme tous les autres dieux. Il préférait conserver le fantasme d'une sœur qui aurait été bienveillante avec lui que de risquer de le voir se briser sur la réalité.
On ne lui avait cependant pas laisser le choix et il s'était simplement plié à la décision des autres, n'osant pas se rebeller et nourrissant également l'espoir que, si il s'avérait capable de ramener Kaëv'ah, il pourrait obtenir un peu de considération de la part du reste du panthéon elfique, en particulier de sa mère.
Sans un mot, il avait alors franchi le passage s'ouvrant dans le sol de la salle du conseil où siégeaient les déités principales. Les braseros qui l'encadraient brûlaient habituellement d'une flamme dont la couleur correspondait au dieu qui les approchait mais,lorsque Aïonn s'était avancé, ils s'étaient tout simplement éteints.
Encore une preuve qu'il n'était qu'un dieu non-désiré.
Sa chute dans le passage lui avait paru longue et très perturbante alors qu'il avait été incapable de différencier le haut du bas. Elle avait finalement pris fin lorsqu'il avait atteint l'Enclave.
Grâce à un sort, il s'était rendu directement à l'endroit où l'énergie de Kaëv'ah était la plus forte. Le fait que ça ait fonctionné signifiait que la déesse se trouvait bien dans l'Enclave. Elië'll avait raison.
Aïonn fut soudainement tiré de ses réflexions par un gémissement montant de sa droite.
Pour tenter de le rassurer alors qu'il se retrouvait malgré lui dans une dimension inconnue, il caressa affectueusement le crâne de l'imposant loup qui se tenait à côté de lui, enfonçant les doigts dans son épaisse fourrure grise, plus foncée sur son dos et s'éclaircissant en approchant de son ventre.
Il se nommait Laadsri'll, ce qui signifiait tempête en elfique ancien, un nom qui n'avait rien de surprenant lorsqu'on savait qu'il lui avait été donné par Kaëv'ah, dont il était le Compagnon.
Il y avait longtemps déjà, la déesse sang-mêlé avait décidé de s'attacher un loup, l'un des animaux qui la représentaient, comme il était possible de le faire par un sort particulièrement complexe. Lui aussi souffrait de l'absence de Kaëv'ah, errant dans le domaine de cette dernière en gémissant dans l'attente du retour de sa maîtresse.
Aïonn ignorait pourquoi sa jumelle avait souhaité se créer un Compagnon mais, à présent, la présence de cet animal pouvait lui être très utile. Grâce au lien que Kaëv'ah avait tissé entre eux avec sa magie, certainement plus solide que celui qu'on prétendait qu'elle entretenait avec Aïonn, il était probablement en mesure de guider ce dernier vers la déesse disparue. Son odorat développé et son instinct animal pouvaient également l'y aider.
Se penchant à la hauteur du loup, Aïonn lui demanda où se trouvait Kaëv'ah. Il savait que Laadsri'll comprenait le sens de sa question. Le lien de Compagnon dotait l'animal d'une intelligence supérieure à la moyenne.
En réponse à l'interrogation d'Aïonn, Laadsri'll renifla le sol autour de lui, tournant sur lui-même durant quelques secondes puis il se coucha en gémissant à nouveau, la tête entre ses pattes avant. Aïonn fronça les sourcils face à cette réaction.
Cela indiquait-il qu'il ne relevait pas la piste de Kaëv'ah ? Comment était-ce possible ? Ils se trouvaient pourtant normalement à l'endroit où Kaëv'ah aurait dû être. Quelque chose n'allait pas.
Laadsri'll aurait pourtant dû être capable de repérer Kaëv'ah si elle s'était trouvé dans les parages. Si elle se trouvait dans les parages.
La déesse n'était de toute évidence par dans les alentours, pourtant, elle l'aurait dû.
Si le sort censé localiser le lieu d'où émanait la concentration de l'énergie de Kaëv'ah le conduisait à cet endroit mais qu'elle-même ne s'y trouvait pas, c'était qu'elle n'était plus dans l'Enclave et qu'il se tenait finalement au dernier endroit où elle avait été avant de la quitter.
Le problème était de savoir où elle avait à nouveau disparu.
Se concentrant un instant, il revérifia à nouveau l'Enclave pour s'assurer qu'il n'avait pas fait erreur mais le seul point d'émanation de l'énergie de Kaëv'ah qui lui apparut mentalement fut l'endroit où il se tenait déjà. C'était donc depuis cette formation rocheuse au milieu de la forêt que Kaëv'ah avait quitté l'Enclave pour une autre des dimensions de l'univers, qui n'était certainement pas celle divine.
Se penchant vers l'affleurement, il s'y intéressa davantage comme il s'agissait du seul élément remarquable des parages. La tête penchée sur le côté, il posa la paume sur l'une des roches mais il la retira immédiatement comme si il se l'était brûlée.
L'énergie qui se dégageait de la pierre était si puissante qu'elle lui avait été douloureuse en traversant sa main. A présent qu'il l'avait remarquée, sa poitrine en était opprimée.
Si il avait été plus doué, il l'aurait certainement relevé immédiatement mais, comme il n'était qu'un incapable, il ne s'était pas aperçu de la magie qui stagnait ici.
Le doute n'était pas permis. Il se trouvait face à une déchirure dans le voile entre les mondes.
Cela expliquait l'absence de Kaëv'ah.
Pour la retrouver, il ne restait plus à Aïonn qu'à franchir ce passage à son tour.
S'accroupissant à la hauteur de Laadsri'll, il passa un bras autour du cou du loup pour le garder contre lui et, muni d'une de ses dagues, il ouvrit une longue entaille sur la paume de sa main.
Le bras tendu au-dessus de l'affleurement, il laissa son sang goutter sur les roches.

Le Souffle de Kaëv'ah - Tome 5 : Sang DivinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant