Chapitre 14 - Une succube dans la tourmente

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Appuyée contre le mur creusé dans la roche, Messaline soupira lourdement avec lassitude alors qu'elle observait sans s'y intéresser ni réellement les voir les Humcréas qui déambulaient dans la galerie devant elle.
Elle souffrait de la faim mais n'avait aucune envie de se nourrir. Même si elle examinait les personnes qui la croisait, elle ne recherchait pas vraiment de repas.
Le problème était que l'énergie commençait à lui manquer et elle s'affaiblissait lentement.
Ses jambes peinant à la soutenir et sous l'effet de l'affliction qui pesait sur ses épaules, la succube se laissa glisser le long du mur jusqu'au sol où elle s'installa, les genoux remontés contre sa poitrine sous sa robe et son menton posé dessus.
Cela faisait déjà quelques jours qu'elle avait gagné Forèliore et son réseau important de catacombes où évoluaient de nombreux Humcréas clandestins parmi qui elle s'était caché.
Après que Pallwen l'ait encouragée à fuir pour sa propre sécurité, elle avait erré sans but dans les rues de Plainiore, se demandant encore pourquoi elle avait éprouvé le besoin impérieux de révéler lav érité à son amant, question qu'elle continuait à se poser.
En traînant dans les rues de l'étouffante capitale, elle avait appris que la nouvelle de sa disparition s'était répandu. De nombreuses rumeurs pour l'expliquer n'avait pas tardé à émerger et Messaline avait de peu manqué de frapper l'homme qui avait prétendu qu'elle avait épuisé le souverain en obtenant de lui tout ce qu'elle pouvait obtenir puis était partie se chercher une nouvelle victime, même si elle-même ignorait pourquoi cela la contrariait autant.
Entendre ces racontars lui avait néanmoins permis de comprendre que trop de personnes connaissaient son identité aux Terres de Plaines, qu'il lui fallait donc quitter. A contrecœur, se sentant déchirée, elle s'était donc dirigé vers les Terres de Forêt et leur capitale, à défaut d'avoir un véritable endroit où se rendre.
Évidemment, toutes les catacombes des grandes villes abritaient ces réseaux clandestins d'Humcréas mais Messaline avait préféré gagner directement le plus grand et le centre névralgique de toutes cette contrebande pour se noyer dans la foule, où elle serait plus en sécurité et où trouver de quoi se nourrir aurait été plus simple. Elle avait également espéré pouvoir se rapprocher de Wolramf, le dirigeant, d'une manière ou d'une autre, pour améliorer sa situation, ce qu'elle n'avait pas encore tenté depuis son arrivée à Forèliore.
Le trajet entre les Terres de Plaines et les Terres de Forêt, qui impliquait de traverser presque tout le continent, avait duré des semaines mais Messaline n'avait pas véritablement eu conscience de cette durée. Elle avait progressé par automatisme sans réellement s'apercevoir des distances qu'elle parcourait ou des paysages qui défilaient autour d'elle. Peut-être même qu'elle avait été temporairement accompagnée par d'autres voyageurs mais ça ne l'avait pas marquée, elle n'en conservait pas vraiment de souvenir et ne pouvait en être certaine. Ça avait été comme si elle avait été en état de choc durant tout ce voyage mais rien ne justifiait qu'elle plonge dans un tel état, surtout durant autant de temps.
Au moins, le trajet n'avait pas été pénible puisqu'elle n'en avait eu que moyennement conscience. Elle n'avait pas subi la fatigue, le froid, la peur, la faim ou le manque de confort.
Cette torpeur avait commencé à s'estomper à son arrivée à Forèliore.
Se forçant à agir avec réflexion et non plus uniquement par instinct,elle s'était débrouillé pour trouver un lieu où dormir, une simple niche profonde creusée dans les parois des catacombes où elle avait installé les affaires données par Pallwen, qui lui avaient permis d'atteindre les Terres de Forêt sans rencontrer trop de difficultés.
En revanche, elle n'avait découvert aucune chose à faire et elle se contentait d'errer sans but dans les galeries. Elle se convainquait que ces déplacements sans objectif ni réelle destination lui servaient à chercher et repérer d'éventuels repas. En tant que succube, elle avait besoin de se nourrir de l'énergie sexuelle d'autres personnes pour survivre et reprendre des forces, mais elle ne l'avait toujours pas fait, d'où la faim qui la rongeait.
A cause de sa mémoire embrumée quant au déroulement de son voyage, elle ignorait si elle avait pris le temps de se nourrir durant le trajet mais elle avait eu l'énergie pour marcher jusqu'à Forèliore alors elle avait probablement dû retrouver quelques forces à un moment ou à un autre.
A présent qu'elle avait rejoint un lieu où s'abriter et rester en sécurité, que son esprit était libéré de ces brumes qui ne lui permettaient pas d'être totalement consciente de ce qu'il se passait autour d'elle, elle ne s'était toujours pas nourrie. Cette fois, elle en était certaine et s'en apercevait parfaitement.
La faim l'affaiblissait, à tel point qu'elle peinait à tenir actuellement sur ses jambes, d'où sa position assise, pourtant, elle ne cherchait pas à l'apaiser.
A chacune des journées qui avaient commencé pour elle dans ces catacombes, Messaline s'était dit que ce serait aujourd'hui qu'elle trouverait quelqu'un sur qui se nourrir mais elle s'était toujours couché encore plus affamée que la veille.
Pour une raison ou une autre qu'elle ne saisissait pas, elle ne parvenait pas à se résoudre à voler l'énergie sexuelle de quelqu'un. Elle n'avait pourtant jamais éprouvé le moindre problème à le faire auparavant. Après tout, il s'agissait de quelque chose de normal et commun, d'ordinaire, pour le peuple des succubes.
Alors pourquoi s'en sentait-elle soudainement incapable ? Pourquoi, dès qu'elle avait tenté de s'approcher de quelqu'un pour s'en nourrir, le visage de Pallwen s'imposant dans son esprit la retenait-elle ? Elle ne comprenait pas et s'en agaçait.
Elle n'allait tout de même pas se laisser stupidement mourir de faim car une morale et un rapport à son corps propre aux humains et aux autres Humcréas l'avaient subitement saisie.
Son regard se posa sur un gorgo aux yeux jaunes, aux cheveux de serpent attachés sur sa nuque et aux bras musclés exposés par les manches remontées de sa chemise. L'Humcréa possédait un physique plaisant qui la satisfaisait mais, de toute manière, dans son état de faim, elle se moquait de la personne de qui elle aurait pu se nourrir et la première aurait fait l'affaire.
Ce même sentiment inexplicable la retenait cependant toujours. Sa contrariété augmenta subitement d'un seul coup.
Pour obliger ce blocage à disparaître, elle décida de se forcer à manger, qu'importe la gêne qui l'envahissait. Elle devait se nourrir. A présent, il s'agissait d'une question de vie ou de mort.
Se relevant, légèrement incertaine sur ses jambes faibles, en s'appuyant contre le mur à côté d'elle, elle réajusta ses vêtements qu'elle épousseta, se coiffa d'une main dans ses cheveux et s'assura que ses formes voluptueuses étaient parfaitement mises en valeur, que tous ses appâts féminins étaient aussi irrésistibles qu'à l'accoutumée.
Ne laissant planer aucun doute sur ses intentions et, comme sa magie séductrice était encore plus puissante lorsqu'elle ne camouflait pas ses aspects physiques de succube comme elle en avait pris l'habitude durant sa vie au palais des Terres de Plaines, elle brisa le sort qu'elle usait en quasi-permanence. Ses ailes de chauves-souris jaillirent de son dos à travers le dos-nu sommaire qu'elle avait elle-même créé en découpant un morceau de tissu de sa robe, ses cornes nacrées et légèrement torsadées couronnèrent son front et ses pupilles s'allongèrent en se rétrécissant.
Comme si il percevait que tout ce déploiement de séduction lui était destiné, le gorgo stoppa dans sa progression et se retourna. Il avisa immédiatement Messaline dans la galerie et cette dernière lui adressa un sourire accompagné d'un clin d'œil incendiaire pourtant,il ne s'agissait que de réflexes de séduction qu'elle effectuait par habitude car elle les avait déjà faits des centaines de fois.Au fond d'elle, elle ne s'impliquait pas dans ce jeu de séduction, elle n'y était pas.
Sans la faim qui ne cessait de se rappeler à elle, elle n'aurait pas vu l'intérêt de tout ce manège et l'aurait totalement abandonné.
Heureusement pour sa faim, qu'elle était prête à renoncer à satisfaire, le gorgo se laissa happer sans chercher à résister, presque comme si il attendait qu'une succube croise son chemin en l'invitant à une étreinte. Il revint sur ses pas pour se diriger vers Messaline avec un sourire en coin.
La succube se révéla encore plus affamée qu'elle ne le pensait car elle ne prit même pas la peine d'échanger le moindre mot avec le gorgo avant de se jeter à son cou pour l'embrasser en plongeant sa langue à la rencontre de la sienne.
Surpris, l'Humcréa demeura figé durant quelques secondes avant de lui rendre son baiser.
C'était tout de même assez pratique d'être une succube dont la capacité principale était de séduire de manière immédiate et presque certaine tous ceux qu'elle souhaitait.
Un peu de force lui revint mais ce n'était pas suffisant et ce peu d'énergie qu'elle obtint lui donna encore plus faim et renforça son besoin d'apaiser celle-ci.
Agrippant le devant de la chemise du gorgo, elle le tira pour l'amener vers l'endroit où elle avait installé son couchage tout en le plaquant contre elle. Encore une fois, il ne chercha pas à résister et se laissa faire.
L'allongeant, elle le chevaucha et entreprit de le déshabiller mais, lorsqu'il chercha à lui retirer sa robe à son tour, elle se raidit subitement. Le visage de Pallwen se dessina dans son esprit et le fait que les mains qui la caressaient n'appartenaient pas à ce dernier, ne possédaient pas les mêmes callosités ni ne parcouraient son corps de la même manière, devint brusquement insupportable.
Qu'importe la faim, elle ne le pouvait tout simplement pas, c'était au-dessus de ses forces.
Changeant radicalement d'attitude en une seconde, Messaline repoussa violemment les mains du gorgo en les frappant. Ne comprenant pas ce qu'il se passait si soudainement, le jeune homme ne réagit pas, du moins,jusqu'à ce que Messaline, à moitié dénudée, le traîne hors de sa sommaire habitation en lui ordonnant froidement de partir.
Stupéfait et déstabilisé, le gorgo la fixa, la bouche entrouverte, mais,avant qu'il ne prononce la question qu'il s'apprêtait à formuler, Messaline le poussa brutalement en arrière en lui hurlant de dégager.
Face à la véhémence de la jeune femme, malgré son incrédulité et son incompréhension, le gorgo préféra obtempérer et quitta les lieux pour disparaître dans la galerie.
Messaline se laissa tomber sur son couchage dans un soupir. Visiblement, elle n'avait pas d'autre choix que de se laisser mourir de faim.
Les larmes aux yeux, elle remonta ses genoux contre sa poitrine pour les serrer contre elle.
Elle qui avait lutté de toutes ses forces pour survivre, qui n'avait pas hésité à appliquer tous les moyens nécessaires pour le faire, qui avait réussi à le faire malgré la présence de la Flamme Blanche dans l'Enclave, elle allait finalement mourir de faim car elle s'avérait soudainement incapable de se nourrir pour une raison qui lui échappait.
C'était tellement pitoyable !
Après plusieurs minutes à se morfondre et à subir cette faim qu'elle se révélait incapable d'apaiser, elle s'efforça de se reprendre. Elle essuya ses yeux humides, se rhabilla et quitta la niche. Elle n'avait aucune raison de le faire mais elle éprouvait le besoin de se déplacer, continuant à errer sans but dans les catacombes en souffrant de la faim.
Les bras resserrés autour d'elle, elle commença à déambuler dans les couloirs sans savoir que faire, elle gagna l'une des plus grandes galeries, l'un des axes principaux des catacombes, par laquelle passaient de nombreux Humcréas. Etre entourée un maximum l'aurait peut-être poussée à cesser de résister inconsciemment et à se nourrir mais elle savait qu'elle se mentait à elle-même en prétendant cela.
Cela faisait des jours qu'elle arpentait les catacombes et croisait des dizaines d'éventuels repas mais elle n'avait jamais réussi à voler son énergie à qui que ce soit. Ça avait la première fois qu'elle avait été si proche de le faire mais elle n'avait pas pu sans qu'elle ne puisse se l'expliquer.
Soudainement, elle avisa une silhouette qu'elle avait déjà rencontrée à quelques reprises. Il lui fallut quelques secondes pour la reconnaître et se souvenir de la personne à qui elle appartenait.
Certainement car elle se sentait rassurée de trouver une personne connue, qui représentait un éventuel point d'ancrage, elle appela cette connaissance par son nom, faisant réagir plusieurs des passants en plus du principal intéressé.
Surpris d'entendre son prénom crié par une voix féminine au milieu de ces galeries, Liam se retourna vivement, une main sur le pommeau de son épée.
Durant un instant, il crut qu'il s'agissait de Richa de retour de la Terre mais le timbre était différent. Rapidement, il reconnut Messaline qui se dirigeait vers lui en se frayant un chemin à travers la foule d'Humcréas.
Remarquant son arrêt soudain, Esadd et Alerrin, qui l'accompagnaient, stoppèrent à leur tour dans leur progression. Liam regarda la succube les rejoindre en fronçant les sourcils.
Que faisait-elle ici ? Pourquoi ne se trouvait-elle plus à Plainiore, au palais royal ? Que lui était-il arrivé ?
La détaillant plus attentivement, Liam la découvrit visiblement éprouvée et fatiguée, les joues creusées et les yeux marqués de cernes. Même si elle demeurait indéniablement séduisante, elle avait perdu de sa superbe.
Arrivant face au jeune homme balafré, elle lui adressa un large sourire, pas un de séductrice mais seulement une expression soulagée.

Le Souffle de Kaëv'ah - Tome 5 : Sang DivinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant