17 - Pertes et fracas

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La lunette de visée braquée sur l'ennemi, Charlotte écoutait du mieux qu'elle pouvait les informations que lui donnait Alex. Certainement qu'il aurait fait un bien meilleur job qu'elle, mais elle était bien incapable de faire le sien et n'aurait pu lui fournir le moindre renseignement pertinent dans ce chaos.

— Trois cents mètres à trois heures, un groupe de réfugiés acculés par la cible Indigo, signala Alex.

Suivant ses indications, Charlotte décala son viseur jusqu'au sans-visage qu'ils avaient nommé « Indigo ». Il n'était pas facile de les différencier, mais heureusement ils ne se déplaçaient pas beaucoup pour le moment. Elle retint sa respiration et ajusta sa position alors qu'Alex lui donnait les corrections d'angle de tir à effectuer. Focalisée sur la voix grave et profonde de l'homme, elle tentait d'éloigner tout le reste pour ne pas se laisser submerger par la panique. Elle relâcha doucement son souffle et pressa sur la détente. La poussée forte et familière sur son épaule lui apporta un sentiment malsain de satisfaction. Ce n'était qu'un cerf, essaya-t-elle de se convaincre...

À travers le viseur, elle put voir l'impact de sa balle sur le bouclier de la cible. À sa grand satisfaction, celui-ci vacilla enfin, même s'il tint bon.

— C'est pas trop tôt... murmura Alex.

Elle ne pouvait qu'approuver. Les boucliers énergétiques des taëkh'to étaient solides, et le temps de rechargement après avoir lâché était incroyablement court, mais qu'il faiblisse était une victoire en soi. Et le rôle de Charlotte était simple. Elle devait les fragiliser pour, si pas les éliminer, au moins forcer l'ennemi à couvert pour diminuer la pression du feu. Court répis que les porteurs d'armes alien devront utiliser pour s'approcher assez.


Un soldat passa devant son viseur, tellement couvert de boue qu'il en était méconnaissable. Il n'était pas sorti de son champ de vision qu'un trait jaune lui traversa le crâne de part en part. Le temps ralentit alors que sa tête se fissurait depuis le point d'impact. Après ce qu'il lui parut être une éternité, la boîte crânienne céda sous la pression des gerbes de sang et de matière cérébrale qui tentaient de s'en échapper. Un instant, il était là, celui d'après elle avait de nouveau une ligne directe sur la cible Indigo. La présence du soldat s'effaça de la réalité aussi sûrement que s'il n'avait jamais existé. Touruk subirait-il le même sort ? Et Thomas ? Combien allaient disparaître dans le néant pour cette folie ? Ils voulaient juste vivre...

La tête vide, Charlotte en oublia comment respirer. Alors que, jusqu'ici, elle était parvenue à éloigner les bruits abjects du combat, désormais ses oreilles étaient emplies du gémissement des mourants et des cris angoissés des survivants. Le tonnerre, la pluie et le crépitement continu des armes à feu ne lui arrivaient plus que de manière assourdie. Seuls les hurlements de douleurs et les pleurs envahissaient son esprit et, partout où ses yeux se posaient, elle ne voyait que des organes exposés aux intempéries, du sang dans la boue et des membres arrachés.

Alex parlait, mais elle ne l'entendait pas, sur le point de vomir. L'air s'était épaissi et ne parvenait plus jusqu'à ses poumons. Même les battements de son cœur, pourtant si bruyants, ne pouvaient couvrir le son horrible de l'affrontement. Sa vision s'obscurcit et elle se sentit partir.

Une main puissante se plaqua contre sa nuque et Alex l'attira à lui, posant sa joue contre celle de Charlotte.

— Reprends-toi, soldat ! gronda-t-il à son oreille d'une voix ferme. Pense à ceux qui ont encore besoin de toi pour que ceux qui tombent ne le fassent pas pour rien !

Son cerveau ne parvenait pas à comprendre le sens de ces mots, mais le souffle chaud de l'homme contre sa joue et sa poigne forte sur son cou l'aida à reprendre pied avec la réalité. Le son de l'orage reprit ses droits sur le champ de bataille et elle se focalisa sur le tintement de la pluie qui s'abattait sur la bâche au-dessus d'eux.

La Rédemption du T'saroggOù les histoires vivent. Découvrez maintenant