Attention à ton attention

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Elle n'avait jamais rien dit à ses camarades de ses difficultés du quotidien pour ne pas être traitée différemment. Même les professeurs ou la production n'en savaient rien.
Lénie avait fait part à sa mère de son envie de garder cela secret pour toute la durée de l'aventure, celle-ci avait bien essayé de l'en dissuader mais en vain. Lénie voulait vivre cette expérience à fond, peu importe ce que cela coûterait.

Malheureusement, elle se retrouvait maintenant enfermée dans un château à entendre l'ensemble des académiciens répéter différentes chansons.
IMMORTEL. IMMORTEL. IMMORTEL.
La brune n'en pouvait plus. Chacune des chansons était désormais incrustée dans sa tête l'empêchant d'apprendre la sienne. Cela faisait plusieurs heures qu'elle essayait en vain de travailler et cela la rendait folle. Allongée dans son lit, elle posa son visage dans son oreiller et se mit à hurler "VOS GUEULES !"
Elle n'en pouvait plus. Une immense frustration venait prendre contrôle de son corps et elle décida de sortir à l'extérieur avec ses paroles. Elle savait parfaitement qu'elle aurait froid dehors mais tant pis. Lénie était à bout de nerfs et elle savait que son impulsivité finirait par prendre le dessus. Elle savait que ce n'était pas le moment. Elle ne devait pas craquer, pas ici, pas maintenant.
Elle sortit donc avec ses écouteurs dans les oreilles en ignorant les académiciens qui se trouvaient sur son chemin.
IMMORTEL.
IMMORTEL.
IMMORTEL.
Putain.

"Lénie ? Lénie ! Tu vas où ?" Tenta de l'interpeller Lola, son amie la plus proche mais elle n'avait obtenu aucune réponse de la part de la brune. Celle-ci continuait sa route jusqu'à l'extérieur.
Une fois la porte ouverte, le froid de l'automne frappa la peau de son visage mais elle ne s'arrêta pas.
Son cerveau allait exploser et le reste de son corps avec. Elle savait qu'il était encore bien trop tôt pour la pause et décida de se poser près des sapins, se disant qu'elle partirait en entendant ses camarades venir fumer.
Elle s'assit alors par terre entre deux vieux mégots de cigarettes écrasés et se mit à réciter sa chanson mais au plus elle lisait et chantait, au plus un poids venait s'écraser sur elle. Elle n'y arrivait pas. Chanter devenait aussi dur que de soulever le bus qui les emmenait aux primes à mains nues. Lire les paroles lui donnait l'impression d'être un cheval qui tractait des tonnes d'affaires sur plusieurs kilomètres.
Elle n'y arrivait pas.
De rage, elle mit en boule les feuilles des paroles qu'elle devait urgemment apprendre et les jeta le plus loin possible d'elle.
"Sois normale ! Sois normale !" s'énervait la brune en se frappant violemment le crâne.
Peut-être était-ce finalement sa dernière semaine ? Peut-être sera-t-elle incapable de chanter lors de l'évaluation demain et finir nommée ?

Lénie n'arrivait pas à dormir depuis plusieurs jours et sa fatigue empirait son état de manière importante. Elle ne savait plus écouter les autres ou juste faire attention à ce qui l'entourait.
Au petit déjeuné, elle fit sursauter l'ensemble des académiciens en cassant l'un des bols. À midi elle avait fait tombé l'entièreté des biscuits apéritifs qu'elle aimait tant en essayant d'ouvrir le pot. Elle était ensuite tombée plusieurs fois dans l'escalier et ses camarades avaient essayé de savoir si tout allait bien mais elle répondait simplement qu'elle était fatiguée. Ce n'était de toute façon pas un mensonge. Mais elle était surtout mentalement épuisée et ressentait tellement de haine envers elle-même.

"Lénie !" Appela alors une voix qu'elle connaissait par cœur. C'était Lola qui, une nouvelle fois, cherchait à lui parler. "LÉNIE !" réitéra alors la jeune femme.
Mais Lénie était loin. Elle n'arrivait pas à se relever, sa tête l'en empêchait et elle n'était de toute façon pas en état de maintenir la moindre conversation. Alors elle ne bougeait pas.
"...chercher au théâtre !" retentit alors une nouvelle voix. Héléna ? Pourquoi Héléna essayait-elle d'aider Lola à la trouver ? Elles ne s'étaient jamais beaucoup parlé sauf après l'élimination de Louis où elle avait été là pour la réconforter.
Aujourd'hui c'était différent. C'était une douleur qu'elle s'infligeait elle-même et personne n'y pouvait rien, même son traitement n'y pouvait rien.
"LÉNIE !" appela alors Héléna proche des arbres.
"Tu la vois ? Cria alors une voix au loin.
- Non ! Mais rentre ! De toute façon je vais aller sapiner !" Cria Héléna en retour.
Même si son corps pesait lourd, elle décida de partir rapidement en se disant que même si elle était repérée, elle continuerait de fuir. Quand elle était dans cet état, cela lui prenait beaucoup de temps pour redescendre.

Lénie n'avait pas pris son traitement depuis trois jours et même si elle trouvait que cela ne changeait rien, il l'aidait pourtant à ne pas se laisser emporter comme aujourd'hui.
"-tu fais là ?.. Lénie !
- Hm ? Questionna la plus jeune, revenant finalement à elle, réalisant qu'elle était toujours assise par terre complètement perdue dans sa tête.
- Qu'est-ce que tu fais là ? Tout va bien ?" Demanda alors Héléna, la voix pleine de sympathie. Elle n'obtint pourtant aucune réponse de la plus jeune qui regardait le sol.
"Tu veux que j'appelle Lola ?" La questionna-t-elle une nouvelle fois. Elle savait que Lola était proche de la brune et se disait que c'était sûrement quelque-chose de personnel, qu'elle ne voudrait pas se confier à elle.
Mais non.
Lénie ne bougeait pas. Elle ne la regardait même pas. Des milliards de pensées parcouraient sa tête et elle ne pouvait plus se concentrer sur la moindre chose autour d'elle.

Elle sentit soudainement une main sur son épaule. Lénie releva les yeux vers une Héléna qui semblait attendre une réponse, mais rien. Le cerveau de Lénie était surmené et le moindre mouvement lui semblait impossible à faire. Elle serait nominée demain, elle serait la honte de sa ville et de sa famille. Tout ça à cause de son putain de cerveau.
"EH OH ! Cria soudainement Héléna, secouant le corps de Lénie.
- Tu l'a trouvée ?
- Oui, aux sapins !"
Lénie se mit à prendre une grande inspiration, pour expirer ensuite bruyamment. Elle ne le faisait que très rarement et son père avait pour mauvaise habitude de lui crier dessus car il prenait ça comme un soupir, un manque de respect. Pourtant, c'était simplement son corps qui lui rappelait parfois de respirer.
Lola arriva à grands pas et tomba rapidement à genoux devant elle sous le regard perdu de Héléna qui ne comprenait rien à la situation.
"Ma vie, ça va ? S'inquiétait la jeune femme.
- Laissez moi tranquille.. souffla alors Lénie, espérant que les deux académiciennes ne le prennent pas mal. Lénie voulait juste être tranquille. Juste. Être. Tranquille.
- Dis-moi juste si ça va.. insista Lola en posant sa main sur sa joue.
- PUTAIN MAIS ÇA VA, FOUTEZ MOI LA PAIX !" Hurla soudainement la brune en retirant violemment la main posée sur son visage.
Lola regardait Lénie avec un regard blessé. Son amie la plus proche ne voulait pas d'elle au moment où elle en avait le plus besoin, et ça lui brisait le cœur.
Aidée par Héléna, elle se releva sans rien dire et partit rapidement en direction du château.
"LOLA ATTEND !" Criait Héléna de peur que cette scène ne mette à mal le reste de leur aventure, mais c'était trop tard. Elle entendit la porte claquer au loin et le silence pesant était revenu dans la cour du château.
"Bon..." Souffla la belge. Elle se retourna vers la benjamine du groupe qui regardait de nouveau le sol en jouant avec ses mains. Elle ne jouait pas comme quelqu'un d'un peu anxieux ou de timide. Elle jouait avec ses mains, se pinçait, tordait ses doigts dans tous les sens comme si elle essayait d'évacuer ce qu'elle ressentait.
Voulant apaiser les tensions, Héléna décida de retirer son écharpe pour la mettre autour du corps de Lénie qui la regardait, intriguée.
"Si tu veux rester ici, mets au moins ça pour te réchauffer" expliqua alors la belge, "Je te laisse tranquille.."
Elle commençait à repartir quand soudain son regard se posa sur quelque chose qu'elle n'avait jamais vu au coin fumeur. Une feuille froissée, mise en boule, gisait sur le sol terreux.
"C'est quoi ça ?" Questionna Héléna en s'abaissant. Elle commença à ouvrir la boule de papier, laissant apparaître des paroles. "C'est ta chanson ?" Demanda-t-elle à Lénie qui hocha doucement la tête.

Ce que la plus jeune ne savait pas c'est que Héléna était tombée sur sa boîte de médicaments le dernier matin où elle avait pris son traitement. Lénie n'était pas très réveillée et avait laissé la boîte sortit de sa trousse de maquillage où elle l'a cachait habituellement. En s'approchant du miroir pour se mettre du mascara, Helena avait pu l'apercevoir. Elle la prit dans ses mains et regarda le nom. Elle le connaissait bien ce nom. Son petit cousin avait la même et elle avait souvent dû l'obliger à le prendre lorsqu'elle le gardait.
Héléna connaissait bien ce handicap et savait à quel point il pouvait être sérieux. Elle avait donc passé ces derniers jours à se demander comment elle pourrait l'aider. La blonde se disait que Lola, qui était proche de la plus jeune, devait être au courant et que c'était inutile d'interférer. Mais après ce qu'il venait de se passer, celle-ci se dit que personne ne le savait réellement.

"Lénie ? Demanda-t-elle une énième fois.
- Hm ?
- C'est pas grave si tu ne m'écoutais pas, commença doucement Héléna, t'as du mal à apprendre ta chanson ?"
De nouveau la brune hocha simplement la tête. Elle aimait bien les questions de la blonde, elle n'avait pas besoin de formuler de grandes phrases, de chercher ses mots.
"Écoute, moi j'ai terminé d'apprendre. De toute manière, je connaissais déjà ma chanson et visiblement, on a la même. Tu acceptes que je t'aide ?"
Elle n'avait pas demandé si elle voulait de l'aide car elle savait qu'elle prendrait le risque que la benjamine réponde qu'elle n'a besoin de rien.
Elle voulait simplement qu'elle dise si oui ou non cette aide viendrait de Héléna. En entendant ces mots, un poids s'enleva soudainement de ses épaules. Elle ne portait plus le poids du bus à bout de bras. Elle ne traînait plus le poids du monde sur son dos.
Elle releva ses yeux, brillants, et les plongea dans le regard de la belge. Oh que oui elle voulait de l'aide.
Sans même attendre de réponse, Héléna s'assit aux côtés de la plus jeune, la feuille dans les mains.
"Ok alors déjà, I like the way you kiss me.. vas-y répète après moi.
Répéter. Elle n'avait plus qu'à répéter. Elle n'avait plus à réfléchir, à se forcer, à s'angoisser face à des paroles qu'elle n'arrivait pas à lire, ni même à retenir.
- I like the way you kiss me.. Répéta la brune doucement.
- I like the way you- uh
- I like the way you- uh
- I like the way you kiss me, I can tell you miss me.
- I like the way you k.. J'y arrive pas.. Souffla la brune excédée. Son corps ne la laissait pas faire et elle commençait à pleurer de frustration.
- On continue.
- Non Hélé je .. J'arrive pas." Dit-elle à travers ses sanglots.

Héléna instaura alors un silence, incertaine de la direction dans laquelle elle désirait aller. Est-ce que lui en parler la braquerait ? Très probablement. Est-ce qu'elle était vraiment obligée de lui en parler ? Oui. Pour le bien de sa camarade, elle se devait de le faire.
"Lénie, t'as pris tes médicaments aujourd'hui ?" Mais de nouveau aucune réaction de la part de la plus jeune. Un silence valait plus que mille mots alors la belge comprit qu'en tout cas, aujourd'hui, elle ne les avait pas pris.
- Comment.. Se dit-elle un peu trop fort.
- T'avais pas rangé la boîte, répondit la blonde, et je la connais bien. Je comprends à quel point c'est difficile alors s'il te plaît dis moi... Depuis quand tu ne les as pas pris ?
- Je .. Je sais plus. Quelques jours..?
- Tu vas les prendre maintenant." Ordonna la blonde avant de repartir en direction du château.

Elle marcha rapidement jusqu'à la salle de bain pour trouver sa boîte de médicaments cachée dans sa trousse de maquillage. Elle descendit ensuite jusqu'à la cuisine pour prendre un bol remplit de biscuits apéritifs et une verre d'eau.
Elle marchait ensuite en direction de la brune les mains pleines, espérant ne rien faire tomber.
"Tiens mon chat, dit-elle en tendant d'abord le bol, ça c'est pour ton réconfort."
Elle déposa ensuite, à côté d'elle, le verre d'eau et ouvrit la boîte pour en sortir la seule chose qui pourrait tout arranger.
"Avale."

Au fond, Lénie aimait ne pas avoir à s'occuper d'elle-même à ce moment-là. Penser à tout, s'alimenter, se laver, prendre ses médicaments, était toujours une charge mentale importante qui l'obligeait à se concentrer pour ne rien oublier. Malheureusement, son traitement finissait toujours par passer à la trappe et elle le regrettait amèrement.
Lénie prit alors le cachet que la blonde lui tendait, prit le verre d'eau qu'elle avait apporté et avala le tout.
Héléna souriait pendant que la plus jeune soupirait. Elle ne semblait pas être en colère, cela s'apparentait plus comme un besoin d'enfin détendre son corps.
Lénie manga quelques biscuits apéritifs et souriait, ce goût salé lui avait tant manqué.

Héléna s'était de nouveau installée à ses côtés et chantait la chanson à Lénie, encore et encore et encore. Celle-ci reprenait des forces et se concentrait sur la voix mélodieuse à ses côtés. Après plusieurs heures, le médicament avait finalement fait effet et Lénie était en capacité d'apprendre la chanson.
Les deux amies finirent par rentrer dans le château, frigorifiées.

Tous les académiciens étaient assis sur le canapé à discuter. Il restait de la place sur l'une des extrémités aux côtés de Lola et Lénie s'assit la première avant d'être rejoint par Héléna. Elle se tourna vers son amie qui regardait volontairement ailleurs.
"Lola ? Demanda-t-elle obligeant la jeune femme à la regarder. Je suis désolée.
- Tu sais Lénie, commença la brune, je voulais juste être là pour toi.."
Ces paroles lui faisaient mal mais elle savait qu'elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle même. Elle tourna alors sa tête vers la blonde qui la regardait déjà de manière compréhensive. Dans le regard de la benjamine, elle pouvait y lire quelque-chose qu'elle espérait au fond d'elle depuis qu'elle avait découvert son secret.
Héléna se mit à hocher la tête en silence avant d'interpeller le reste du groupe.
"Les gars ! S'il vous plaît faites le silence, Lénie aimerait vous dire quelque-chose." Cria la belge. Elle prit la main de Lénie dans la sienne pour l'encourager.
"Je.. j'ai un TDAH. Euh en fait c'est Trouble de l'Attention avec Hyperactivité.. et euh.. bah j'arrive pas à me concentrer, à me euh, à faire les choses, voilà.."
Sentant qu'elle avait du mal à mettre ses idées en ordre, Héléna prit à son tour la parole.
"Lénie n'arrive pas à faire les choses comme nous. Apprendre des choses ça lui prend du temps, les retenir c'est compliqué, elle est facilement distraite, chaque tâche peut vite être difficile genre une vraie charge mentale alors que pour nous c'est rien. Elle va toujours avoir un milliard de pensées dans sa jolie petite tête et même s'exprimer ça va être difficile. Après elle a un traitement donc ça s'atténue mais faut qu'elle pense à le prendre et encore une fois elle est facilement distraite donc faut qu'on fasse gaffe. Et faut qu'elle dorme beaucoup. Si elle est fatiguée c'est décuplé." Expliquait Héléna.

Lénie souriait. Elle avait trouvé quelqu'un qui pourrait supporter ses difficultés, qui pourrait l'aider et la rassurer. Elle n'avait bien évidemment pas tout écouté mais la voix de Héléna et son médicament eurent raison d'elle. Lénie ferma les yeux, heureuse d'enfin pouvoir lâcher prise. 

One shots - HélénieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant