Cité d'Élis
Le regard clair observait déjà depuis un long moment le ciel et l'horizon. La jeune femme immobile telle une statue analysait le mouvement et la forme des nuages gris et lourds, le vol des divers oiseaux et les couleurs changeantes de la voûte céleste. Le ciel semblait bien bas cet après-midi. Tout ce qui formait les augures destinés à permettre aux prêtres de comprendre la volonté des Déités et connaître l'avenir, pourtant toujours incertain, était en cet instant observé avec beaucoup de soin et une légère appréhension. Un vent modéré soufflait sur la plaine et la cité depuis l'aurore, semblant prendre en intensité au fil des heures de la journée. L'air frais secoua les longues mèches ténébreuses de la jeune femme. Pandore pinça ses lèvres, prise à nouveau de cet étrange sentiment d'angoisse qui lui tordait le ventre depuis le matin même. Cette impression de danger imminent n'avait fait que grandir en elle depuis son réveil, envahissant peu à peu son esprit et monopolisant son attention. Malgré cette sensation désagréable, elle avait rempli ses fonctions de prêtresse, espérant trouver dans ses gestes quotidiens un certain apaisement. Mais cela avait été vain. Son âme restait tourmentée par un mal étrange dont elle ignorait la source. Ses certitudes étaient aussi bousculées. Jusqu'à présent, les gestes rituels liés au culte qu'elle rendait chaque jour lui avaient toujours permis de se concentrer et d'être sereine. Pourquoi son Dieu ne lui accordait-il pas cette fois-ci le même réconfort ?
Pourtant c'était ce calme serein qu'on attendait de la classe sacerdotale. Les prêtres et les prêtresses étaient les messagers entre les Déités et les Humains, ceux qui savaient et qui annonçaient avec une neutralité et un calme à toute épreuve la volonté des Dieux et des Déesses. Ils étaient ceux et celles qu'on regardait quand le doute ou la peur rongeait les habitants de la cité. Pandore avait appris tout cela très jeune, pour devenir prêtresse. Elle avait toujours été de nature calme et sereine, surtout dans ses fonctions de prêtresse. Mais aujourd'hui, la jeune femme n'était qu'anxiété. Et elle ignorait la source de ce sentiment qui la rongeait de l'intérieur. Alors elle avait fui le bruit et l'agitation de la cité. Elle avait fui les questions sur son expression tendue et inquiète. Et elle avait trouvé refuge dans le calme de la nature, là où elle espérait pouvoir mieux comprendre le message des Dieux. Ou au moins pouvoir réfléchir posément sans être harcelée de bien des questions, auxquelles pour une fois elle n'avait aucune réponse à offrir.
Ici, dans la plaine bordée par les fleuves Alphée et Pénée, Pandore espérait mieux entendre la voix de la déité qu'elle servait. Fermant les yeux, la jeune femme focalisa toute son attention sur les sons lui parvenant. Mais elle ne percevait point la voix du dieu Hadès. Il semblait bien silencieux en cet instant où elle avait tellement besoin qu'il lui montre le chemin à suivre. Peut-être serait-il plus loquace dans quelques jours, quand elle pénétrait dans son temple pour remplir son devoir de prêtresse. Ce n'était autorisé qu'une fois par an d'être aussi proche du Seigneur des Enfers. Et c'était un honneur qui avait toujours rendu Pandore fière. Après tout, elle était la seule à être aussi proche physiquement de l'Olympien et à entendre sa voix. Jusqu'à ce jour, la jeune prêtresse avait toujours ressenti une certaine joie et impatience à remplir son rôle, à être aussi proche de leur Dieu protecteur. Elle avait le privilège de discuter avec Hadès. Elle pourrait lui poser ses questions et peut-être lui offrirait-il des éclaircissements et des réponses. Peut-être pourrait-il apaiser son tourment d'inquiétude actuel. Elle l'espérait...
« Prêtresse ?!? », l'interpella la voix grave du guerrier se tenant à quelques pas derrière elle.
La jeune femme rouvrit les yeux. Et elle soupira. Sortir de la cité sous un prétexte futile aux yeux des autres ne lui avait pas été interdit mais soumis à conditions. Pandore ne pouvait point s'aventurer seule dans la plaine. Elle aurait préféré un véritable instant de solitude, mais elle n'avait pas ce genre de liberté étant une femme et une servante du dieu Hadès. Si on avait cédé à sa demande, on lui avait imposé une escorte de guerriers. Se tournant légèrement, elle offrit un regard interrogatif à Rhadamanthe. Le jeune homme était un guerrier qui appartenait à une des familles les plus influentes de la cité d'Élis. Il se tenait respectueusement à quelques pas derrière elle. Il observait attentivement et avec une certaine curiosité la jeune femme. Il n'était guère familier des gestes et rituels religieux pratiqués par les prêtresses. Pour lui, assurer la protection de la prêtresse la plus proche du dieu Hadès était un honneur, tout comme pour ses hommes. Rhadamanthe savait qu'il était inhabituel pour la prêtresse de quitter les temples de la cité et d'aller errer en pleine nature, loin de toute civilisation. Pandore avait la réputation d'être totalement dévouée au culte du dieu Hadès, qu'elle servait depuis des années. C'était ce qui avait valu à la jeune femme d'être désignée pour communiquer directement avec leur déité, et lui apporter une fois par an les offrandes directement dans son Temple. Alors la voir aussi tendue semblait tellement étrange au guerrier. Cela ne devait rien augurer de bon selon lui.
« J'ai encore besoin d'un moment. », l'informa Pandore de sa voix douce et avec un léger sourire poli. Son regard rosé frôla les cinq autres guerriers qui les accompagnaient et qui surveillaient les chevaux.
« Il vaut mieux être rentré avant la nuit. », répondit Rhadamanthe, soucieux de la sécurité de la jeune femme et de celles de ses guerriers.
« Nous le serons. Ne t'inquiète pas. », le rassura Pandore.
La jeune prêtresse se tourna à nouveau pour regarder le ciel et l'horizon. Et elle fronça les sourcils, concentrée sur la lecture des signes naturels que les déités leur envoyaient en présages. Pandore n'était pas la Pythie de Delphes, mais elle savait interpréter les présages divins. Et ceux qu'elle percevait en cet instant ne la rassurait guère. Au contraire, l'angoisse en elle se muait lentement mais sûrement en peur primale. Elle sentait son corps se tendre, ses mains trembler et devenir moite malgré la sensation de froid qui la glaçait totalement. Ses yeux rosés fixaient le mouvement des nuages devenus bien trop sombres, grands et bas. Au loin, elle avait l'impression qu'ils touchaient le sol et le dissimulaient sous un voile sombre. Les oiseaux volaient bas, frôlant la terre et les plantes en émettant des sons lugubres. Le dessin de leur vol anarchique ne présageait lui non plus rien de bon. Et au loin, les ténèbres approchaient. Elles recouvraient méthodiquement chaque mètre, poursuivant leur course vers la cité d'Élis. Et pour une fois, la vue des ténèbres n'avait rien de rassurant pour Pandore. C'était tout le contraire. Une bourrasque violente souleva les pans de sa toge et emmêla ses cheveux en les ramenant dans son visage. Le courant d'air poursuivit sa course vers leur cité, secouant brutalement les branches des arbres et effrayant les chevaux. D'une main tremblante, Pandore se recoiffa et lissa sa robe.
« Tu vois les ténèbres qui courent vers nous ?!? », questionna-t-elle en pointant l'horizon, qui s'assombrissait de plus en plus. La nuit semblait gagner la bataille contre le jour. « Ils n'annoncent rien de bon. Ils ne sont pas du fait du dieu Hadès ou de la déesse Nyx. C'est un très mauvais présage... Surtout si on ajoute ce vent tempétueux et le vol étrange des oiseaux. Les Dieux nous mettent en garde. J'espère en savoir plus quand je me rendrais au temple d'Hadès. »
« Et quelle est la signification de ce présage ? », questionna Rhadamanthe.
« Qu'il arrive. », répondit de manière sibylline Pandore qui se détourna pour rejoindre les guerriers qui les attendaient plus loin.
« Qui arrive ? », demanda le guerrier sans vraiment espérer une réponse concrète. Après tout, les prêtres et les prêtresses étaient connus pour leur message énigmatique.
« L'ennemi. », lui répondit néanmoins la prêtresse. « Et la destruction accompagne sa course... »
Pandore n'élabora pas plus que cela son explication. De toute manière, elle n'avait point de réelle réponse sur l'identité de cet ennemi. Elle savait juste qu'il était en marche sur les cités grecques. Elle ignorait sa nature même. Il pouvait revêtir tellement de visages : guerre, famine, épidémie, ... Tellement de malheurs pouvaient se déverser subitement sur leur belle cité et le reste de leur monde. La jeune femme n'avait que ce sentiment de peur et d'urgence en elle pour expliciter ses dires. Son seul espoir résidait en Hadès, si toutefois il acceptait de répondre à ses questions pour les guider. Si leur Dieu restait silencieux, alors Pandore redoutait le pire...
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Note :
Élis est la cité capitale de l'Élide, située dans le Péloponnèse. La cité est à une soixantaine de kilomètres du sanctuaire d'Olympie qui en dépendait. Élis organisait donc les jeux olympiques de l'Antiquité.
C'est la seule ou une des rares cités antiques ayant un temple dédié à Hadès. Ce dernier était ouvert une fois par an et seul son prêtre pouvait y entrer.
Dans la religion antique, Hadès n'est pas vu comme un dieu néfaste.
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L'Alliance des Olympiens
FanfictionFace à un ennemi venu de l'est, les Olympiens font le choix de l'alliance dans l'espoir de sauver leurs cités. Et des cendres d'une civilisation malmenée par un Empire plus puissant naîtra probablement une nouvelle civilisation. Univers alternatif...