Mon corps est rempli de plomb. Je peux le sentir peser à l'intérieur de moi, partout, sans rien laisser d'autre que cette impression d'étouffer. Je m'étouffe dans moi-même, dans ma chair, dans le matelas qui me porte, dans les draps qui le protègent. Je m'enfonce dans le lit sans rien pouvoir y faire. Voilà comment je me perds.
Je déteste cette sensation de lourdeur. Elle m'est tellement familière et pourtant, je ne m'y fais jamais vraiment. Je sais exactement dans quel état je suis et dans quel état je vais être pour les heures à venir. Faible, perdue, et totalement à l'ouest. Pour l'instant, je ne perçois rien. Seulement cette lourdeur, ce poids que je suis et dont je n'arrive pas à me défaire.
Mes pensées refusent de revenir. Il leur faut du temps, et il m'en faut à moi aussi. Pour le moment, je ne capte rien d'autre que ce poids qui a pris mon corps. Lourde. Je suis tellement lourde, tellement incapable de me défaire de mes entraves. Mentales, imaginaires, elles n'existent pas vraiment. Rien ne m'attache, rien ne me dérange. Il n'y a que moi, mon corps enfoncé dans les draps et cette lourdeur dont je ne me défais pas.
Plusieurs secondes passent, peut-être des minutes qui s'écoulent hors du temps sans que rien ne vienne briser le flottement. Puis, je ressens enfin quelque chose, ma joue enfoncée dans un oreiller, et ma tête, pleine de pierres, que je ne crois pas pouvoir bouger. Un gémissement tente de m'échapper mais le son ne sort pas. Il reste coincé dans ma gorge, fait vaguement vibrer mes cordes vocales puis meurt avant même d'être né.
Le lenteur m'énerve mais ma colère n'arrive même pas à s'exprimer. En fait, elle n'arrive même pas à venir pour de vrai. Elle n'est qu'une sensation vague, une impression, une irritation. Quelque chose qui me dérange sans que j'y pense plus longtemps. Parce que je n'arrive pas à réfléchir, et que je commence à peine à revenir. A revenir ici, dans la Tour, dans la pièce, parmi les vivants. Comme c'est ironique.
D'accord, cette pensée me rassure un peu. Si j'arrive à trouver ma façon de penser stupide, c'est que je reviens vraiment. Lentement mais sûrement, ma conscience remonte. En plus de ma joue dans l'oreiller, je sens mes cheveux étalés partout. Ma main droite est coincée sous mon ventre et la pointe de douleur qui s'en dégage ne me parvient que maintenant. Je grogne, enfin j'essaye, tente de la dégager sans trop y arriver. C'est une demi victoire, ou une moitié d'échec puisque si ma main est libérée, mes doigts, eux, sont toujours coincés. Ils ne semblent même pas s'en plaindre. Si j'en crois la vague, l'effluve, l'onde libératrice qui coule dans mon bras, file sous ma paume et s'élance jusqu'aux bouts de mes ongles, la situation leur convient.
Des voix étouffées me parviennent alors que j'essaye de me retourner. L'effort me tire un gémissement audible, cette fois, mais je réussis à me glisser sur le côté. Mes oreilles sont de nouveau fonctionnelles, et si mes yeux restent fermés, j'essaye de me concentrer sur ce qu'elles veulent bien capter. Pas grand-chose, juste assez pour que je commence à poser un pied dans la réalité. Je m'éveille avec les bruits, j'écoute ces voix sans comprendre ce qu'elles disent, entend des pas éloignés, des machines médicales qui sonnent, et surtout, je n'entends rien dans mon oreille. Lents mais obéissants, mes doigts se lèvent jusqu'à eux pour tâter le côté droit de mon visage. Je sens à peine ma cicatrice, glisse mon index dans mon oreille pour ne trouver que du vide.
Je m'autorise un petit soupir. Le silence qui règne enfin dans ma tête ne va pas durer et c'est pour ça que je veux le savourer. Profiter de cet instant sans Percy, de ce moment sans mon oreillette et surtout, sans l'ombre menaçante de la douleur qui a essayé de m'avoir. Comme pour appuyer ce moment, mon dos s'enfonce enfin dans le matelas et mon corps me revient. Je le ressens tout comme je capte le monde et la chaleur agréable qui m'enveloppe. Pendant un instant, je me sens bien. Pas tout à fait sereine, mais assez calme, assez sereine pour utiliser ce terme. Je me sens bien quand le temps s'arrête autour de moi et, pour un moment, m'appartient. Je me sens bien sans mon oreillette, sans sa présence intrusive et obligatoire, je me sens bien sans la voix artificielle de Percy qui s'élève toujours sans prévenir. Je me sens bien, tout de suite, maintenant, parce que je me sens hors du temps. Rien ne compte, rien n'a d'importance.
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MEMENTO MORI
Science FictionIl y a eu les zombies, l'apocalypse déferlant sur le monde, puis la fin. Sienna et Simon ont toujours vécu au Complexe, cinq tours construites durant la pandémie dans le but d'offrir aux survivants un endroit ou vivre. Aujourd'hui, bien des années a...