Ma tête va exploser. Le bruit qui nous entoure est beaucoup trop fort, trop important. Il est là, partout, il résonne dans ma tête et s'amplifie, gronde et rugit. Je l'entends dix fois, cinquante fois, cent fois plus fort que la normale. Son vacarme frappe les parois de mon crâne comme s'il voulait s'en échapper. Il frappe, frappe encore et encore et encore. Bientôt, il réussira à le faire exploser. Je crois que mes os craquent déjà, ils grincent et se fissurent sous les coups, le bruit et la douleur.
Je plisse les yeux. Ma paupière droite tressaute alors qu'un marteau la frappe sans aucune interruption. Mon assiette fumante m'attend, une odeur agréable tente même de me chatouiller les narines, en vain. Ma vue est troublée par la douleur qui perce, éclate, s'installe et reste. Le morceau de viande n'est qu'une tache sombre, et près de lui, l'espèce de purée orange ne vaut pas mieux. Mon estomac fait un looping. En fait, mon corps tout entier se rebelle. J'ai faim, mais la nausée est plus forte. Elle surpasse le besoin de manger et ne laisse qu'une salive trop chaude et trop liquide emplir ma bouche pourtant vide. Et merde. Je crois que je vais vomir.
— Si ? Ça va pas ?
Je relève la tête. Face à moi, Simon me fixe, l'air inquiet malgré la grosse bouchée qu'il est en train de mâcher et qui lui gonfle les joues. Le tic incontrôlable continue de faire sauter ma paupière, mes yeux restent plissés. J'y suis forcée par la douleur qui me noie la tête, par le bruit incessant qui gronde autour de nous, par la lumière intense qui brille comme un soleil dans la pièce.
— J'en étais sûr. T'as une migraine.
Sa voix prend une intonation bien plus sérieuse. Simon sait à quel point elles peuvent être violentes, soudaines et destructrices. Il a été témoin de leurs dégâts bien plus d'une fois.
— Ça va, je parviens à grommeler, c'est bon, ça va passer.
Ma propre voix résonne avec force au fond de mon crâne. Un grognement sourd m'échappe. Je serre les dents, les paumes posées contre mes yeux par habitude, même si le geste ne change rien.
— Dis pas n'importe quoi. Faut le signaler aux soigneurs, ils te feront un arrêt pour le reste de la journée.
J'ouvre la bouche pour répliquer, lui lancer une réponse cinglante au sujet des soigneurs de la Tour et de mon travail, quand une voix familière et particulièrement irritante résonne dans mon oreille droite.
— Crise migraineuse en cours. Je vous suggère de prendre votre traitement et de vous reposer dans une pièce sombre et silencieuse.
— La ferme, Percy.
Le grondement n'était qu'un murmure lâché entre mes dents serrées. Mon IA ne s'en formalise pourtant pas, puisqu'il répond de sa voix monotone mais bien trop guillerette à mon goût :
— Voulez-vous que je prenne un rendez-vous d'urgence avec le corps soignant ?
— Tu devrais prendre ton médoc, enchaîne Simon.
Leurs deux voix me tapent sur le système. Je sens une veine chaude frapper en rythme régulier contre ma tempe. Ce n'est pas un orage qui s'élève dans ma propre tête mais un ouragan de feu et de sang qui me ravage de l'intérieur.
Mon index glisse jusqu'à mon oreille droite qu'il effleure juste assez pour éteindre l'oreillette qui permet à Percy de me parler. Un bruit léger s'élève pour m'indiquer que la communication est coupée. Un son qui, d'ordinaire, me semble léger et faible mais qui explose maintenant partout en moi.
— J'en ai déjà pris un ce matin.
Je crois que Simon a raison. Il faut que j'aille voir un médecin si je veux éviter de vomir sur le premier client qui passe, ou de tomber au milieu des produits de la boutique. Mes mains entourent ma tête et la retiennent, alors que mes coudes posés sur la table me paraissent trop faibles pour la porter. J'ai l'impression que je vais tomber, que mon corps va me lâcher. Qu'il est trop faible, trop cassé. La migraine m'a frappé de l'intérieur, et maintenant, elle me brise à l'extérieur.
Un frisson glisse dans mon dos. La sensation de lourdeur qui appuie sur mon estomac remonte dans ma gorge, chauffe ma langue jusqu'à la brûler. La nausée est trop forte. Putain. Je n'arrive plus à penser.
Une pression dans mon dos essaye d'attirer mon attention, sans grand succès. Ça y est. Je ne suis même plus capable de comprendre ce qui m'entoure. Mes mains forment un bouclier protecteur qui me plonge dans une obscurité relative, alors que mes yeux restent résolument fermés.
Ne pas vomir, ne pas vomir, putain, je ne dois pas vomir. Je déteste ça. Mais qui aime ? La sensation de chaleur répugnante qui remonte dans ton ventre, dans ta gorge, ronge ta langue pour jaillir hors de toi sans que tu ne puisses rien y faire. Un gargouillis bizarre grogne dans mon estomac à cette simple pensée. Si je reste focalisée dessus, ça va forcément m'arriver.
Merde. La pression se fait plus forte, plus appuyée. Je me force à tourner la tête vers la silhouette à ma gauche. Simon est debout, le visage tordu dans une expression inquiète. Ses bras tendus autour de moi et ses dents serrées sont des preuves suffisantes pour que je sache qu'il ne me laisse plus le choix. Il m'aide à me lever, me tient contre lui pour contrer la faiblesse soudaine de mes jambes.
Je les déteste. Ces foutues migraines, je les déteste comme je déteste rarement, en vérité. Pas parce qu'elles me font mal, non. Parce qu'elles le blessent lui, parce qu'elles inquiètent ceux qui me sont chers. C'est un putain de cliché, mais un cliché bien réel. Plus d'une fois, j'ai cru que mon crâne allait exploser, plus d'une fois, je me suis retrouvée à supplier qu'on me perce la tête pour que la douleur me quitte. Plus d'une fois, j'ai vu l'inquiétude dans les yeux de mon oncle, de ma tête, dans ceux d'ordinaire si rieurs de Simon.
— Ana, résonne la voix de mon meilleur ami alors qu'il s'adresse à son IA. Appelle la section médicale en urgence pour Sienna.
Je n'entends pas la réponse qui lui est donnée, évidemment, et heureusement. Parce qu'il a parlé, et que l'entendre a suffi pour que ma tête se reconcentre sur tout le reste, sur ce qui nous entoure et le vacarme explosif qui règne dans la cafétéria. Pendant une seconde, la nausée s'efface pour laisser sa place à une autre vague de douleur. Comme un ouragan, un orage ravageur.
Simon abandonne son assiette, la mienne, il laisse tout ce qu'il attendait si fort pour m'emmener dehors. Enfin, pas vraiment dehors, pas en bas, pas au sol. Juste hors de la salle immense, jusqu'à l'ascenseur qui monte, monte, et le monde qui se calme soudainement.
Je ne sais plus à quel moment nous arrivons, ni quand les soigneurs me prennent en charge. Je me souviens juste de Simon qui me dit qu'il préviendra Ed, des gens qui m'installent dans un lit, et puis, rien. Le vide m'accueille ensuite comme un souvenir vague qui s'exprime avec la voix de Thry.
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MEMENTO MORI
Fiksi IlmiahIl y a eu les zombies, l'apocalypse déferlant sur le monde, puis la fin. Sienna et Simon ont toujours vécu au Complexe, cinq tours construites durant la pandémie dans le but d'offrir aux survivants un endroit ou vivre. Aujourd'hui, bien des années a...