03 | Sienna

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La douleur perce ma tête. Elle est vive, agile, piquante et tranchante. Tranchante, oui. Elle me coupe, se plante dans mon crâne et refuse de ressortir. Elle explose en une multitude de morceau écarlate, ou peut-être blanc. Je ne sais pas de quelle couleur est un cerveau qui explose, mais dans ma tête, c'est un arc-en-ciel de ténèbres, des éclairs de douleurs qui me déchire de l'intérieur.

Ça pulse. Ça cogne. Ça frappe. Ça me sonne. C'est comme un tintement de fond qui hurle. Il gonfle, gonfle, monte et gronde. Il prend toute la place dans ma tête, il ne me laisse rien. Je le sens dans ma nuque, je le sens sous mon front, je le sens derrière mes tempes, je le sens dans mes yeux. Les deux. Mon cou est raide, ma tête est pleine. Pleine de douleur, et puis, la lumière.

— Sienna ?

Je plisse les yeux à l'instant même où je les ouvre. La voix de Simon est comme un hurlement, mais l'éclairage blanc de l'ascenseur est le plus meurtrier des deux.

— Tu veux aller voir un soigneur ?

Je n'avais pas remarqué son bras autour de ma taille. Il me tire vers la sortie, et je ne comprends qu'à cet instant que nous avons atteint notre étage. Putain. Elle est montée en deux minutes à peine. C'est de pire en pire. Foutues migraines.

— Nan, c'est bon.

Je glisse un doigt contre mon oreille droite pour réactiver le son de mon oreillette. Un bruit léger m'indique que c'est fait. Enfin, léger, je sais qu'il l'est. A ce moment précis, là, maintenant, j'ai pourtant l'impression qu'il me hurle dans le crâne, m'enfonce le couteau plus profond et encourage le marteau à frapper plus fort encore. J'ai du mal à me concentrer. C'est comme si ma vision avait été réduite, je ne vois plus ce qui se passe autour de moi, et même en face, c'est trop brouillon.

Respire, Sienna. Un. Deux. Trois. Je plisse les yeux en essayant de ressentir ma propre respiration, de la contrôler, de lui ordonner de m'apaiser. Quelle connerie, ça aussi. Heureusement que l'étage est plus sombre. Ici, la lumière n'est pas aussi agressive, et l'absence d'autres personnes rend le tout plus supportable.

L'étage marchand est vide, comme souvent. A cette heure-là, les employés sont déjà à leur poste ou sur le point de le rejoindre. Quelques personnes traversent le silence, le frappant de leur pas qui résonnent dans l'air, avant de disparaître. J'observe l'endroit un instant. Mes yeux s'arrête sur un coin enfoncé dans le noir, des boutiques éteintes pour la plupart et souvent boudées des habitants de notre ville-tour.

Eh ouais. C'est ici que je bosse, dans l'ombre de la Tour, entre une boutique de fringues pour les vieux et le néant. Le magasin que je tiens fait l'angle de l'ombre, il s'y enfonce même lorsque la lumière est allumée à l'intérieur, et ne projette la sienne sur personne. Nous n'avons pas vraiment de voisins, et personne n'y vient jamais, ou presque. C'est comme si les dirigeants avaient cherché le pire endroit pour placer un magasin. Ils ont trouvé ce coin ici, pile poil ce qu'ils voulaient, et ils sont repartis.

Celui de Simon, lui, est situé en haut, sur la mezzanine qui nous domine. Il vend des vêtements aux gens de notre âge, et j'ai du mal à comprendre comment ils peuvent avoir autant de clients. Ici, toutes les tenues sont pareilles. Grises, chemises, tee-shirt, pulls, pantalons, shorts, jupes ou robes. Les manteaux sont l'exception, petite dose de couleur dans ce monde sans saveur, ils ont l'honneur immense de nous offrir un marron sans nom. C'est juste du marron, ni beau ni laid, il est seulement là et ne change jamais. Ce n'est pas le même que le marron des yeux de Simon. Celui de nos manteaux est toujours foncé. Certains disent que c'est le marron de la terre mouillée.

— Sienna ?

Simon se plante face à moi. Il est inquiet, ça se voit sur chaque morceau de son visage, dans la manière qu'il a de tendre le bras vers moi, dans sa façon de glisser ses doigts contre les miens. Quelle tête je suis en train de faire, pour l'inquiéter autant ? Le marteau garde son rythme, mais je tente de l'ignorer une seconde, le temps d'apaiser Simon. Ou au moins essayer.

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