La rentrée

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Isabelle était partagée entre deux sentiments en ce jour de rentrée.

D'un côté, elle était heureuse de retrouver ses amis après ces longues vacances ; de l'autre, une vague de nostalgie l'envahissait déjà.

Elle savait que cette année marquerait la fin de sa vie de lycéenne, et elle se surprenait à imaginer son dernier jour, se voyant déjà en train de prononcer la fameuse phrase :
« Le lycée va me manquer », les larmes aux yeux, serrant ses meilleurs amis contre elle.

Elle pensait aux cadeaux qu'elle offrirait à ses profs préférés, à ces derniers moments où elle franchirait les portails du lycée, tentant de graver chaque détail dans sa mémoire.

Isabelle était comme ça. Toujours à anticiper, à se projeter.

Cette première matinée, elle l'avait vécue comme un jour banal.

C'était les retrouvailles avec ses amis, des discussions sur les vacances, et les éternelles plaintes sur le poids des manuels qui lui avaient déjà causé des courbatures. Mais ce n'était pas encore le vrai début.

Cette matinée était surtout dédiée aux formalités administratives, aux consignes à transmettre aux parents, et à la distribution des emplois du temps.

La vraie rentrée aurait lieu le lendemain. Et, à la grande satisfaction d'Isabelle, son emploi du temps était plutôt avantageux : des vendredis après-midi libres et des horaires qui lui convenaient parfaitement avec ses occupations extra scolaires.

Ce fameux mercredi, elle n'avait que deux cours : philosophie et mathématiques.

La journée commença bien avec le cours de philo. Isabelle découvrit qu'elle avait eu l'honneur d'avoir le professeur de philosophie le plus excentrique du lycée.

Bien sûr, les profs de philo avaient tous cette réputation de penseurs un peu perchés, mais celui-ci allait plus loin.

Il avait gagné en notoriété grâce à ses cris en plein cours et ses réparties cinglantes envers certains élèves.

Ce jour-là, il consacra une bonne partie des deux heures de cours à raconter en détail la mort de son chien.

Aussi étrange que cela puisse paraître, Isabelle se laissa emporter par cette histoire émotive, et avant même de s'en rendre compte, les deux heures s'étaient écoulées.

Après une pause bien trop courte, il était temps de retourner en classe pour le cours de maths.

Elle entra dans la salle en plaisantant avec ses amis, sans vraiment prêter attention à ce qui l'entourait.

La lumière du soleil inondait la pièce, rendant cette journée plus douce et agréable qu'elle ne l'avait anticipé. Elle chercha rapidement une place libre, mais remarqua avec surprise que les deux premiers rangs étaient déjà pleins.

D'habitude, c'était le contraire. Tout le monde se précipitait vers le fond, cherchant à mettre le plus de distance possible entre eux et le tableau.

Curieuse, elle leva les yeux pour comprendre ce qui provoquait cet engouement soudain pour les premières places. C'est alors que son regard se posa sur le professeur.

Mr Martins. Un homme jeune, grand et charismatique, habillé d'un élégant costume trois pièces à carreaux. Ses cheveux noirs étaient légèrement ébouriffés, et ses yeux, d'un bleu profond, semblaient percer chaque regard qui croisait le sien. Son allure athlétique et sa prestance imposante ne passaient pas inaperçues.

Isabelle et ses amis se résignèrent à s'asseoir au fond. Mais avant de s'installer, elle jeta un dernier coup d'œil vers Mr Martins.

À sa grande surprise, leurs regards se croisèrent brièvement. Elle lui adressa un sourire poli, un peu gênée, avant de s'asseoir en toute hâte.

Quelques instants plus tard, le professeur prit la parole. Sa voix était calme, grave, et posée :

« Bonjour à tous. Je m'appelle Mr Martins, je suis votre professeur de mathématiques. Je vous souhaite une bonne dernière rentrée au lycée. Le programme de terminale est dense alors on va commencer. »

Pas de longues présentations, pas de discours. Juste ces quelques mots avant de se lancer directement dans le premier chapitre du programme.

Il demanda des volontaires pour distribuer les polycopiés. À peine avait-il terminé que plusieurs élèves, principalement des filles, se levèrent avec enthousiasme pour s'en charger. Après quelques instants d'agitation, l'appel fut fait, et le cours commença.

Isabelle, comme à son habitude, ne pouvait s'empêcher d'observer et d'analyser le professeur.

Elle avait toujours aimé étudier les gens, en apprendre davantage sur eux à travers des détails apparemment insignifiants.

Elle jeta un coup d'œil discret à son bureau. Tout était parfaitement ordonné, chaque chose à sa place. Cela lui indiquait qu'il était quelqu'un de méthodique, soigneux dans son travail, et peut-être un peu rigide. Son équipement Apple, complet jusqu'à la tablette, montrait une certaine aisance financière, et probablement une attirance pour la technologie et les gadgets.

Ou alors c'est un pigeon de la société qui se rue sur les derniers produits Apple peu importe le prix juste parce que c'est Apple.

Un autre détail attira l'attention d'Isabelle : aucune bague à ses doigts. Pas marié, ni fiancé. Pourtant, il y avait cette gourde sur son bureau, qui semblait faire partie de ces collections souvent achetées par des couples. Peut-être avait-il une petite amie.

Isabelle ne put s'empêcher de sourire en silence à cette idée.

Une petite amie, c'était plausible.

Mais c'est en observant ses clés qu'Isabelle affina son hypothèse. Un porte-clé portait le logo d'une salle de sport de la ville, et Isabelle se rappela que cette salle offrait des produits à l'inscription. Ils changeaient chaque année et CE porte-clé en particulier datait de la période du confinement.

Elle en déduisit que Mr Martins avait probablement commencé à s'entraîner à cette période comme beaucoup d'autres personnes, ce qui expliquait sa silhouette athlétique. Tout concordait.

Mais plus elle analysait ces détails, plus elle se rendait compte que quelque chose clochait.

Habituellement, ses analyses lui permettaient de « classer » les gens dans des catégories, de les cerner rapidement.

Mais là, avec Mr Martins, elle restait perplexe. Il y avait une part de mystère qu'elle n'arrivait pas à saisir, et cela la troublait.

Le cours passa à une vitesse étonnante. Isabelle rangea lentement ses affaires, traînant un peu, comme si elle espérait un autre regard, une autre interaction.

Alors qu'elle quittait la salle, ce fut précisément ce qui arriva. Leurs regards se croisèrent une nouvelle fois. Il lui adressa un sourire, simple, poli, presque mécanique.

Mais pour Isabelle, ce sourire avait une autre résonance. Il éveilla quelque chose en elle. Un sentiment nouveau, étrange, presque dérangeant. Elle ne pouvait s'empêcher de penser à lui, de se poser des questions. Ce qui l'avait d'abord intriguée se transformait en une obsession silencieuse.

Elle voulait en savoir plus sur Mr Martins.

Elle devait en savoir plus.

Sous contrôle [En réécriture pour le bonheur de vos yeux]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant