Chapitre 2a. Chacun à sa place

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« Allô maman ? Ouais, je t'appelle pour te dire que je crois que je vais arrêter la fac'. C'est trop dur... J'ai beau avoir rattrapé le programme de S avec tonton cet été, je suis à la ramasse total. J'arriverai jamais à rattraper le wagon.

— Mais, tu viens de commencer il y a deux jours !

— Ouais, je sais, mais je me dis que ça sert à rien de m'acharner sur un truc perdu d'avance. J'ai trop de retard, j'ai pas pratiqué comme ceux qui ont fait S. J'y arriverai pas... En plus, à la journée de pré-rentrée, ils nous ont dit qu'on partait pour au moins cinq ans d'études ! C'est mort, moi, je fais pas cinq ans d'études...

— Et tu vas faire quoi alors ? Tu vas pas rien faire, hein !

— Bah je sais pas...

— Écoute, tu me gonfles. C'est toujours pareil avec toi... lança-t-elle, avant de laisser s'installer un lourd silence pour quelques instants. Tu sais ce que tu vas faire ? Tu vas prendre ton téléphone, et tu vas appeler tous les BTS de Paris pour savoir s'ils ont pas des places restantes dans leurs formations. T'es grand maintenant, tu te débrouilles. »

Fin de l'appel. Sa mère avait raccroché. Rémi resta assis sur sa chaise de bureau pendant quelques minutes, sidéré. Les épaules et la tête plongées vers l'avant, il demeurait muet, le regard dans le vide. Pour la première fois de sa vie – de sa vie réelle, on lui laissait les commandes. Pour la première fois, il devait prendre ses responsabilités et affronter seul cette situation. Pourtant, on venait de lui dire quoi faire et même comment faire. Mais il était là, paralysé à l'idée de devoir prendre les devants. Son esprit alors, comme toujours empreint de sa plus grande amie la flemme, fit surgir une idée supplémentaire. Devait-il vraiment suivre ce que sa mère venait de lui dire ? Ne pouvait-il pas juste laisser filer les choses comme l'ont toujours fait certains de ses oncles ? C'était du pur déni, mais il avait le choix.
Deux voies s'offraient à lui. Il pouvait s'enfoncer dans cette forêt d'apparence luxuriante où il serait libéré de toute contrainte [...] Alors, il pourrait passer ses journées à faire ce qui lui plaît, c'est-à-dire à ne rien faire. Les arbres lui offriraient leur ombre, de leurs feuilles coulerait de l'eau ; il n'aurait qu'à tendre la main pour cueillir des fruits et se sustenter. Ce serait un monde de bonheur immédiat. Mais cette quiétude ne serait pas éternelle. Assez vite, il tomberait sur une panthère ou un serpent. Par peur il prendrait la fuite, mais dans sa fuite, il s'égarerait. Il finirait par errer dans cette jungle à la recherche d'un chemin à suivre. Après un moment peut-être, il apercevrait une lumière au loin, une possible issue de cette forêt obscure. Mais cette issue ne serait que le bord d'un précipice. Il se retrouverait face au vide, face aux conséquences de ces décisions. Il serait alors face à un cruel dilemme : sauter ou faire marche arrière en priant de ne pas se faire dévorer par les bêtes affamées qui avaient suivi sa trace. Mais une autre voie s'offrait à lui. Il pouvait décider de gravir la montagne. Ce serait un chemin plus escarpé, qui peut être plus long et sinueux à bien des égards. Sur sa route, il rencontrerait d'autres voyageurs ; certains ne seraient que de passages, d'autres l'accompagneraient jusqu'au bout de cette ascension difficile. Evidemment, parfois il se perdrait aussi. Mais après quelques détours, il finirait toujours par apercevoir le sommet au loin, seul guide au cours de ses pérégrinations. Et une fois arrivé en haut, il pourrait avoir le plaisir immense de se retourner et de voir le chemin parcouru. Bien que tortueux, ce chemin s'avèrerait être plus droit qu'il n'y serait paru. Vu du dessus, le monde lui paraîtrait plus beau, plus grand, il pourrait voir plus loin.

Le simple fait de pouvoir choisir le terrorisait. Car comme dirait l'autre, choisir c'est renoncer. C'est faire le deuil de l'option qu'on a pas choisie. C'est accepter que l'on ne saura jamais ce qu'on serait devenu si on avait pris l'autre chemin. La direction qu'il déciderait de suivre donnerait un sens à son existence, et ce serait irrémédiable. Mais s'il empruntait le mauvais chemin, s'il faisait le mauvais choix ? Qu'adviendrait-il de lui ? Pourrait-il revenir en arrière ? C'était bien la première fois qu'il éprouvait un tel sentiment. Un sentiment écrasant qui dépassait l'entendement de cet être pusillanime. Et pourtant, malgré cette peur dévorante, une force insoupçonnée s'empara de lui. Il sortit de sa torpeur, animée d'une peur du vide qui était devenue plus forte que la peur de l'échec. Il leva les yeux vers son écran, main droite sur la souris, main gauche sur le clavier, cette fois pas pour jouer mais pour chercher sur Internet une école qui voudrait bien l'accueillir. "BTS MUC Paris entretien septembre", écrivit-il sur Google. La liste s'afficha et il les appela un à un pour leur expliquer sa situation et savoir si certains d'entre eux faisaient encore passer des entretiens. Avec un peu de chance, certaines places se seraient libérées suite à des désistements ou à des abandons.

Parcours d'un ratéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant