Chapitre 1a. L'enfer sur Terre

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Comme il n'avait dormi que trois heures, le rendu des copies se faisait sans lui. Son corps était pourtant bien là, assis sur cette chaise, mais son esprit était ailleurs. Madame Lachésis déposait les devoirs sur les tables et les élèves découvraient tour à tour la bonne ou la mauvaise nouvelle. Certains esquissaient un sourire, d'autres un air déçu ou renfrogné. Quelques-uns exprimaient même leur colère en levant les deux mains au ciel d'un geste frénétique. Lui ne daigna pas même se relever pour y jeter un coup d'œil. Il n'en avait que faire. Il somnolait, la tête enfouie entre ses bras croisés dont il se servait comme d'un coussin sur une table de classe qui n'était malheureusement pas destinée à être confortable.

« Ça ne va pas du tout, il va falloir vous ressaisir ! Tout ce qu'il y avait dans ce contrôle était des choses que l'on avait vu en cours auparavant. Je ne comprends pas qu'il y ait de tels résultats. »

Perdu dans un rêve semi-conscient, il n'écoutait que d'une oreille, imperméable aux reproches habituels. Ces remarques avaient tant de fois été proférées qu'elles ne suscitaient plus la moindre réaction chez lui : ni la honte, ni la peur, ni la colère, ni le sentiment d'avoir échoué. Il était plongé dans le plus profond désintérêt, faisant simplement abstraction de ce qui se déroulait dans la classe et prolongeant sa nuit entre deux interruptions.

« Mais je rêve... Rémi ! Réveillez-vous ! Vous vous foutez de moi ! Est-ce que c'est une façon de se tenir alors que je rends les copies ?... Vous vous foutez royalement de tout... Non mais pourquoi je continue encore à m'égosiller pour vous de toute façon. Pourquoi vous continuez à venir en cours ? »

A ces mots, il se redressa enfin. Non pas pour écouter la diatribe de sa professeure, ni par respect, mais par simple curiosité ou peut-être presque par perversion. Il désirait contempler l'expression sur son visage pendant que, vainement, elle s'époumonait. En vérité, il ignorait lui-même pourquoi il continuait à se rendre en cours. Il venait avant tout parce que sa présence était obligatoire. Mais ce n'était absolument pas pour travailler. C'était aussi pour passer le temps et s'amuser avec ses amis. Que pouvait-il bien faire d'autre ? Sécher ? Pourquoi donc ? Qu'avait-il de mieux à faire ? Jusqu'à quatre heures du matin, il s'était adonné aux jeux vidéo, la première de ses deux passions. La seconde était la guitare électrique. Quand il ne se perdait pas dans les contrées obscures de ses univers virtuels, il regardait des vidéos de guitar heroes – Yngwie Malmsteen, Paul Gilbert, Kiko Loureiro – et tentait de reproduire leurs morceaux. Il se disait qu'un jour il apporterait aussi sa contribution. Il aurait pu être musicien. Mais sa mère, secrétaire dans un syndicat d'auteurs et de compositeurs, lui avait bien assez répété à quel point ce milieu était compétitif, inaccessible pour l'immense majorité des personnes qui souhaitaient s'y lancer. Son professeur de guitare lui-même, lui narrait souvent ses déboires, le fait qu'il devait jongler avec trois boulots dans autant de conservatoires différents pour s'en sortir. Alors il devait s'y résigner : aucun futur stable et prospère ne semblait se dessiner dans ce domaine. Dans le jeu vidéo non plus, car à cette époque, le gamer ne jouissait pas de l'aura qu'il peut avoir aujourd'hui. Faire carrière dans ce domaine n'était pas encore une lubie partagée par toute une génération. C'étaient les tout débuts de Youtube et les plateformes de streaming n'existaient pas. L'e-sport existait déjà en Corée, mais en France, jouer aux jeux vidéo n'était absolument pas pris au sérieux. Vous n'étiez alors qu'un geek bizarre qui passe son temps enfermé dans sa chambre. Ainsi, Il s'agissait plutôt de trouver un véritable métier. Encore aurait-il fallu qu'il sache ce qu'il voulait faire. Rien ne lui faisait réellement envie. Il avait dix-sept ans, et tout ce qui comptait pour lui était de rejoindre ses compagnons de jeu, une fois la nuit tombée, pour décimer des hordes de monstres.

« Je serai astrophysicien » lançait-il parfois avec une pointe de provocation. Ce n'était pas du déni, car malgré son insouciance, il était lucide sur le fait que ses maigres efforts ne le mèneraient jamais au prix Nobel. D'ailleurs, on ne lui en demandait pas tant. S'il avait pu déjà ramener quelques bonnes notes, ça aurait été formidable ! En effet, depuis son plus jeune âge, il nourrissait un intérêt pour la cosmologie. C'était son oncle Michel qui l'avait initié, mais il n'en avait jamais rien fait scolairement parlant. Apprendre des règles mathématiques appliquées aux phénomènes physiques l'ennuyait au plus haut point. Il aimait simplement écouter son oncle lorsque celui-ci lui expliquait comment le système solaire s'était formé par accrétion de matière suite à l'effondrement sur lui-même d'un nuage de gaz et de poussière. Alors une étoile s'était formée au centre et des planètes un peu plus tard. Notre planète Terre avait 4,5 milliards d'années, quel âge vénérable ! Ou bien encore que certaines étoiles pouvaient être des milliards de fois plus massives que notre Soleil. Parfois elles finissaient par s'effondrer sur elle-même et former un trou noir, comme celui qui se trouve au centre de notre galaxie. Toutes ces choses et ces nombres le fascinaient, car ils dépassaient l'entendement. Mais il était fainéant comme une couleuvre, alors il n'avait jamais réellement étudié la chose. En dehors de ces cours improvisés à table par son oncle, l'essentiel des connaissances de Rémi venait de vidéos trouvées sur Internet ou d'émissions de télévision. Finalement, il ne faisait que consommer du savoir, en dilettante. Sa curiosité naturelle le poussait à s'intéresser à plein de choses, mais tout n'était que loisir pour lui. Il n'aurait jamais eu l'audace de convertir cela en un réel projet d'avenir en suivant un cursus scientifique. 

Parcours d'un ratéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant