Chapitre 1c. Un doux idéaliste

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C'était ce que ses parents n'avaient de cesse de lui répéter :

— « Rémi, il va falloir se réveiller, tu ne pourras pas faire ça éternellement. Tu penses pouvoir faire pareil quand tu auras un employeur ? Ça sera vite réglé. Une entreprise, ça vise la rentabilité, donc si tu n'es pas efficace ou que tu n'en fais qu'à ta tête, ça sera 'au revoir, merci pour vos services.'

— Et bien, je verrai à ce moment-là. En attendant, je suis à l'école et le peu d'effort que je fournis me suffit à passer chaque année. Donc pourquoi en fournir davantage ? Apparemment, une longue vie de besogne m'attend, donc autant m'économiser, répondait-il avec son arrogance habituelle. »

C'était cette même arrogance qui lui valait parfois d'être exclu de cours. Quand il n'expliquait pas en fin de classe au professeur l'inefficacité de sa méthode d'enseignement pour capter l'attention des élèves et attiser leur curiosité, ou qu'il ne cherchait pas à se faire le défenseur d'un camarade injustement sanctionné, tout se passait bien. Car lui et son ami Paul avaient cette propension à foutre une classe en l'air sans même le vouloir réellement.
Par exemple, il y avait une fois où il tenta de convaincre son professeur d'économie que le système économique actuel n'était pas viable à long terme, car il était fondé sur une croissance infinie dans un monde qui, lui, était fini. Sujet passionnant, mais ça n'était pas le sujet du cours. A aucun moment le cours n'avait pour but de lancer un débat. Le professeur tourna d'ailleurs en dérision l'argumentaire de Rémi qui, téméraire, redoubla alors d'effort pour démonter les théories que le professeur leur présentait. Jusqu'à ce que le professeur, lassé, lui demandât de prendre la porte. Frustré par cette incompréhension, Rémi rangea ses affaires, se leva et quitta la classe sans faire plus d'histoires. Il était consterné par le fait qu'un professeur, censément intelligent et cultivé, de surcroît titulaire d'un diplôme, demeure aveugle aux dangers inhérents des modèles qu'il leur enseignait. Ils ne permettaient pas de rendre compte du monde tel qu'il était réellement. Au moment où la porte se referma derrière Rémi, Paul, narquois, leva la main pour savoir si lui aussi pouvait être viré. Et ce fut chose faite.

Les voilà tous les deux en chemin vers le bureau du Conseiller Principal d'Education, M. Okètayo. C'était un homme d'une stature colossale et au visage fermé qui reflétait la sévérité de son caractère. Pour autant, Rémi et Vincent n'éprouvaient aucune appréhension. Ils savaient à quoi s'attendre. C'était un rendez-vous quasi quotidien, ainsi ce trajet leur était tout aussi routinier. Ils traversaient les couloirs en espérant passer devant des classes qui étaient restées porte ouverte. Ils reconnaitraient sûrement quelques visages familiers parmi les élèves et en profiteraient pour les saluer, ce qui avait le don d'agacer les professeurs. Arrivés devant le bureau du CPE, ils veillèrent tout de même à effacer tout sourire de leur visage avant d'entrer.

« Encore vous... Non, mais je vais arrêter de vous engueuler en fait. Je ne vais même pas vous demander pourquoi ou par qui vous avez été viré. Ça ne sert à rien. Ça ne m'intéresse même pas. Ça fait quatre ans que je vous répète la même chose... Et tout ça pour quoi ?... Mais à quoi je sers ? »
Un silence protocolaire envahit la pièce. Les pions assis au bureau d'à côté cessèrent leurs activités et tournèrent leurs regards vers les deux accusés, comme pour soutenir tacitement le sermon prononcé par M. Okètayo. Rémi et Paul, la tête baissée, restèrent silencieux.

« — Non, mais je vous pose la question, récidiva M. Okètayo, pourquoi je continue avec vous ? Je vous pose réellement la question. A quoi je sers ?

— A faire votre métier, monsieur, répondit Rémi.

— Vous êtes bien aimable, Rémi. Et quelle est la finalité de mon métier ?

— A faire que les élèves rentrent dans les rangs, à les raisonner quand certains sont problématiques.

— Et ça a l'air de marcher d'après vous ?

Parcours d'un ratéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant