Chapitre 8

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Arrivé chez moi, je me dirige vers mon atelier. Je répète le même rituel. Puis je vais manger, je ne parle pas durant le repas, je vais dans ma salle de bain, je me lave et je vais me coucher. Entre deux heures et trois heures du matin, mon téléphone sonne. La lumière de l'écran m'aveugle, je réponds sans savoir qui est au bout du fil.

« Allo ?

— Ed, c'est moi, Léna.

— Il y a un problème ?

— Non, je suis désolée de te déranger si tard, mais j'ai besoin de toi. Je peux venir ?

— Oui, bien sûr.

— En fait, je suis déjà devant chez toi.

— Oh, euh... attends devant le garage, et quand je t'ouvrirai, ferme les yeux.

— Pourquoi ?

— C'est l'entrée de mon atelier et je ne veux pas que tu voies.

— Tu ne veux pas me le montrer ?

— Non, c'est comme toi qui ne veux pas parler de ta vie privée.

— OK, je t'attends. »

Je descends vite, ouvre le garage. Léna, debout, frêle dans son t-shirt large et son short, les yeux fermés. Je la porte comme un sac à patates, ferme le garage et cours jusqu'à ma chambre. Léna rit de la situation et ouvre les yeux quand je referme la porte. Je m'assois sur mon lit et elle s'installe devant moi. J'oublie que je suis torse nu, je cherche rapidement un t-shirt. Elle me regarde avec un sourire amusé.

« Tu aurais pu rester comme ça.

— N'importe quoi. Tu vas bien ?

— Oui. »

Je la regarde attentivement et remarque qu'elle n'est pas maquillée. Je m'approche et vois son visage et son corps remplis d'hématomes. Sans un mot, je me lève et lui apporte des glaçons enveloppés dans une serviette. Elle me regarde sans rien dire, et met les glaçons sur son œil.

« Tu n'as rien à me dire ?

— Non.

— Tu me réveilles à deux heures et demie du matin, tu as des marques de coups et tu es chez moi. Et tu n'as vraiment rien à expliquer ?

— Je suis venue parce que j'avais besoin d'être ailleurs. Ça me rappelle de bons souvenirs ici. Mais je ne veux pas parler de ce qui m'est arrivé. »

Elle se lève, un soupçon d'agacement dans son regard. Je l'observe faire le tour de ma chambre, curieuse. Elle s'approche de la porte de mon atelier, tentant de l'ouvrir.

« Tu crois vraiment que je l'aurais laissée déverrouillée ?

— Je ne savais pas que tu étais aussi intelligent. »

Elle sourit et continue son exploration, se dirigeant vers mon bureau. Elle regarde un de mes dessins avec attention.

« Pourquoi ses yeux semblent-ils... enfumés ?

— Je trouve que les yeux reflètent la vérité, ils ne peuvent pas mentir.

— Moi, j'aurais fait ça au niveau de la bouche parce que c'est là que les mensonges sortent.

— Mais tu n'as pas compris mon idée. Les yeux sont comme une partie de notre inconscient, et certains arrivent à les cacher, à mentir. Comme toi...

— Comment ça ?

— Nous nous dissimulons, nous nous cachons, nous nous montrons tels que les autres souhaitent nous voir. Et toi, tu te protèges en ne révélant que ce que tu veux bien montrer. Tu ne laisses personne vraiment t'aider... Repose ce dessin ! »

Elle me regarde, choquée par mes mots. Elle se réinstalle en face de moi sans rien dire, essayant de cacher ses ecchymoses.

« C'est moi que tu as dessinée ?

— Peut-être.

— Tu m'intrigues.

— En quoi puis-je t'intriguer ? Tu cherches à percer le mystère de mes dessins, de mon atelier, de mon monde. Mais je n'ai rien de spécial, je suis juste un type ordinaire vivant sa vie. Toi, en revanche, tu es un véritable mystère. Tu ne nous parles jamais de ta famille, de ce que tu ressens vraiment, de tes expériences, de tes douleurs. Tu sembles toujours heureuse. Mais je sais que c'est juste une apparence. Je t'ai vue autrement... »

Je me rapproche doucement d'elle, captivé par l'intensité de ses yeux bleus.

« C'est la fatigue qui te rend si audacieux ?

— Non, c'est toi. »

Nos regards se croisent, nos visages se rapprochent, et je distingue plus clairement ses blessures. Délicatement, je caresse sa joue. Elle réagit en baissant les yeux, saisissant doucement ma main pour l'éloigner. Elle serre ma main, sans un mot. C'est comme si elle cherchait une porte de sortie, un moyen d'éviter de répondre aux questions que mes découvertes sur elle soulèvent, aux vérités que j'ai commencé à percevoir.

« Tu me connais bien, Ed... Je ne m'attendais pas à ce qu'en venant ici, tu perces à jour ce que même moi j'ai du mal à saisir. Avant, je me réfugiais chez Paul pour m'éloigner de chez moi. Il ne me comprenait pas, il ne posait pas de question, il ne parlait que de lui et de ses problèmes et moi, je voulais juste me reposer loin de mes soucis.

— Pourquoi m'avoir choisi ce soir ?

— J'ai vu comment tu as géré la situation avec Léo. Ta bienveillance, le mensonge protecteur que tu as inventé pour lui. Tu l'as poussé à se confronter à ses problèmes. Je sais qu'avec toi, je pourrais te parler, mais pour l'instant, je n'y arrive pas. Dans le passé, je me suis confiée à quelqu'un que j'aimais, et ça l'a effrayé au point de partir. Je comprends sa réaction, j'aurais peut-être fait la même chose à sa place.

— S'il t'aimait vraiment, il ne serait pas parti. Il aurait dû rester à tes côtés, t'aider à traverser ces moments. Léna, tu ne te rappelles pas...

— Je l'aimais tellement... »

Perdue dans ses pensées, elle semble à peine entendre mes mots. Les larmes brillent dans ses yeux, menaçant de déborder. Je lui offre un sourire, essuyant les larmes qui commencent à couler sur ses joues. Je la prends dans mes bras, et elle se blottit contre moi, nichant sa tête dans le creux de mon cou. Elle me serre contre elle, essayant de retenir ses larmes. Nous décidons d'aller dormir. Il est trois heures du matin, et la fatigue pèse lourdement sur mes paupières. Je me glisse sous les couvertures, laissant Léna s'installer à côté de moi. Je ferme les yeux en gardant son visage dans mes rêves. Je sens sa main caresser doucement mes cheveux.

Dans un murmure : « Si jepouvais te parler, tout serait plus facile. » Puis elle s'endort.

ElleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant