Chapitre 16

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Mes journées deviennent une litanie monotone de cours, de retours à la maison, d'insomnie et d'isolement. Je suis submergé par la tristesse et la déception. Léna, elle, continue son petit jeu, devenant de jour en jour une meilleure actrice. Je déteste voir ce côté-là d'elle. Je ne mange pas, je ne dors pas et je suis de plus en plus épuisé. Léo tente de me soutenir, mais je préfère me murer dans ma solitude. C'est enfin le week-end, je peux m'échapper loin de ce spectacle. Mais avant tout, je dois réparer les torts avec mon frère. Je l'ai négligé, comme à chaque fois... Je décide de lui faire une surprise. Discrètement, je m'éclipse pour acheter du matériel électronique, dépensant tout l'argent économisé pendant trois ans.

Je rentre chez moi, cachant précipitamment le cadeau sous ma couette au moment où Loïc entre. Il me dépose ses derniers dessins et repart sans un mot, probablement blessé par mon attitude récente. Ses œuvres sont sombres. Impressionné par son talent grandissant, je décide qu'il est temps de crever l'abcès et de lui offrir mes cadeaux. Saisissant la couette transformée en sac surprise, je me dirige vers sa chambre, prêt à lui parler.

« Tes dessins sont vraiment réussis. Loïc, je suis désolé de t'avoir négligé cette semaine. J'ai laissé mes propres problèmes prendre le dessus sur notre relation.

— C'est toujours la même histoire. On commence à se rapprocher, et puis, il y a toujours quelqu'un qui te capte plus que moi. Tu t'éloignes, tu te perds dans tes problèmes, en me laissant de côté.

— Je te demande pardon. Quand je m'attache à quelqu'un, mes émotions prennent le dessus, je me laisse submerger. Je te vois comme quelqu'un de fort, capable de s'en sortir sans moi.

— Tu ne me connais pas vraiment...

— Que veux-tu dire ?

— Oublie ça.

— Loïc ?

— C'est bon ! »

Il me cache quelque chose, mais je ne suis pas en position de le pousser à se confier. Je me sens coupable. J'ouvre la couette, révélant les cadeaux cachés. Son visage s'illumine d'un sourire éclatant, ses yeux s'agrandissent, étonnés et ravis.

« Tu n'as pas besoin de moi pour dessiner, tu as un talent fou. Pour t'aider dans ton rêve, je t'ai préparé ça. Je sais que ça ne pourra pas rattraper mes erreurs, mais tu pourras avancer plus vite sans moi. Tu as un don, comme moi, pour le dessin, tu peux aller loin.

— Tu le penses vraiment ?

— Oui, je ne te mentirais jamais, tu es mon frère. »

Il me prend dans ses bras. Dans son élan, il me donne une petite tape à l'arrière de la tête pour se venger. Je le laisse avec ses nouveaux jouets et vais dans ma chambre.

Je me change rapidement et vais courir, la musique battant à plein volume dans mes oreilles, mon carnet à dessin dans mes poches. Courant sous le soleil couchant qui embrase le ciel de teintes orangées, semblables aux flammes d'un feu ardent. Arrivé jusqu'à la colline loin de la ville, j'utilise mes dernières forces pour conquérir ce sommet. Là, je m'accorde une pause, ouvrant mon carnet pour capturer la scène qui se déploie sous mes yeux : la ville qui scintille, ses lumières artificielles éclipsant les derniers rayons du jour, les voitures qui tracent des rubans lumineux sur les routes, les silhouettes des passants s'engageant dans la nuit pour leurs rendez-vous. De cette hauteur, je contemple une vie à laquelle je ne participe pas, une existence dont je me sens détaché. Mon dessin achevé, je prends une profonde inspiration et m'allonge sur l'herbe fraîche, le ciel étoilé au-dessus de moi. Pour la première fois de la semaine, je me sens normal. Les yeux fermés, je me laisse bercer par la musique, savourant cet instant de paix. Soudain, je sens une présence. J'ouvre doucement les yeux, et elle est là. Surpris, je tente de me lever pour partir, mais elle pose doucement sa main sur ma jambe, me signifiant de rester.

« Tu peux rester.

— Je préfère partir.

— Non, reste s'il te plaît. Je ne vais pas rester longtemps.

— Pourquoi es-tu là ?

— Je voulais te voir.

— Vraiment ? Pourquoi ?

— J'en ai assez.

— Assez de quoi ? »

Son regard se perd dans le mien, à la recherche de réponses.

« Tu m'as dit de rester seul dans ma déprime, c'est ce que je fais.

— Je regrette ce que j'ai dit... J'étais énervée, parce que tu doutais de moi.

— Comment te croire que tu l'aimes après ce que tu m'as dit ? Samedi, tu le critiquais, et maintenant...

— Edward, as-tu déjà ressenti l'amour de quelqu'un ?

— Non.

— Alors tu ne peux pas comprendre. Ce n'est pas de l'amour, mais son regard, sa manière de parler... ça me touche. »

Je me lève, contenant à peine ma frustration.

« Te souviens-tu de la façon dont je te regardais ?

— Non...

— Vraiment ? Je te voyais comme une œuvre d'art. Je savais en une seconde si tu allais bien ou non ! J'ai toujours été là, même si tu ne le voyais pas. Je ne te percevais pas comme les autres. Je voyais ton âme, ta douceur et tes flammes. Pour moi, tu n'étais pas un simple trophée, mais un mystère à découvrir... Et tu oses me dire ça, que c'est la façon dont il te regarde ! Il ne t'a même pas défendu après ton altercation avec Lola, il s'en fout de toi ! Mais toi, sais-tu être vraiment aimée par quelqu'un ? »

Elle reste un moment silencieuse avant de reprendre d'une petite voix.

« Comment tu me regardes maintenant ?

— Je n'ai pas envie de te blesser, Léna.

— Réponds-moi.

— Je ne sais pas... Tu es tellement présente dans ma tête que je n'arrive plus à dormir... Je croyais qu'on avait quelque chose de spécial, mais apparemment non... Tu confirmes ce que Lola a dit, alors que je sais que ce n'est pas toi...

— Tu ne me connais pas, Ed.

— Alors pourquoi es-tu là ? Que veux-tu de moi ?

— Je ne veux pas que tu redeviennes l'ancien Ed. J'ai vu un changement en toi, je ne veux pas...

— J'ai changé pour toi. »

Je m'éloigne sans me retourner, tandis qu'elle éclate en sanglots. J'ai envie de la prendre dans mes bras pour la consoler, mais je dois m'éloigner d'elle. Ses sanglots résonnent derrière moi, me lacérant le cœur. Je rentre chez moi avec les nerfs à vif. Dans mon atelier, je m'abandonne à la toile, laissant s'exprimer la beauté de sa tristesse dont je suis responsable.

ElleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant