26

222 29 7
                                    

Trois mois plus tard.

C'est la fête ce soir. Un petit groupe de musiciens s'est installé dans la ruelle étroite avec l'accord du minuscule restaurant. On a sorti toutes les tables et les chaises dehors, déroulé un vieux bout de balatum pour faire office de piste de danse et le restaurant propose un menu corse comme seul choix. Une assiette de charcuterie locale ou des beignets au fromage, des cannelloni au brocciu - une sorte de fromage frais mixé avec de la menthe qui fourre les pâtes fraîches, du fromage corse et des canistrelli en dessert, servis par la famille entière du restaurateur - le petit dernier de six ans amenant le pain à chaque tablée. La propriétaire du petit café d'en face - qui est également le kiosque à journaux, le dépôt de pain, l'épicerie et le relais de poste du village - s'occupait de servir des spritz et du vin blanc de pays à ceux qui lèvent la main.

Des lampes de guinguettes s'accrochent aux façades biscornues et defraichies du village à flanc de colline. Des lampions en papier decorés par les enfants du restaurateur illuminent les tables dans le jour declinant et des fanions ayant connus de meilleurs jours pendent en travers de la ruelle dallée des pierres plates multicolores: grises, beiges, irisées, verdâtres, brunes qui sont installées depuis des centaines d'années peut être.

Dans la chaleur de cette fin d'été, la jeune femme avait enfilée une robe blanche et des sandales en cuir pour se rendre à cette petite fête.

Le bel italien l'accompagnait, comme souvent. Il n'y avait guère que le matin qu'on les voyait séparés. Ou plutôt, l'homme venait acheter de quoi préparer un petit déjeuner gargantuesque chaque jour pour la belle blonde et passait souvent deux heures à lire son journal en terrasse , un café à la main, avant de rentrer la retrouver. On les voyait quelques heures après partir dieu sait où et revenir souvent tard le soir.

C'était un bel homme, brun, a la barbe bien taillée, viril, musclé, et certains affirmaient avoir vu des tatouages transparaître sous ses chemises. Des dessins à l'encre noire au motif complexe .
On ne savaient pas ce qu'ils faisaient dans la vie, si ce n'est qu'ils avaient débarqué ici un matin dans l'ancienne bergerie abandonnée qui était en rénovation depuis ces trois dernières années et qu'ils n'avaient pas l'air de faire autre chose que se promener depuis plus d'un mois.

La jeune femme était une beauté.
Petite, menue, un visage splendide, des dents parfaitement implantées et blanches - quoi qu'on la voyait rarement sourire et une longue chevelure blonde.
Tous avaient remarqué qu'elle boitait, particulièrement en fin de journée et il se murmurait qu'elle avait eu un grave accident de voiture, sans qu'on sache si c'était la vérité ou pas.

La voix lassive de la chanteuse entonna la chanson italienne "Bella ciao" . Tous deux chantaient en frappant des mains.

L'homme se leva ensuite pour se diriger vers le bar.

"Deux spritz ?" Demanda la serveuse.

"Un spritz et un jus de pamplemousse !"

Elle se gratta la tête : "j'ai pas! Pomme? Ananas? Orange ?"

"Je vais voir" dit l'homme.
Il retourna à sa compagne qui fit la moue avant de lui murmurer quelque chose.

"Citron?" Demanda l'homme

La serveuse acquiesça et vint apporter la commande à leur table.

Elle jeta un coup d'oeil a la jeune femme, qu'on voyait rarement de pres.

C'est vrai qu'elle était belle, mais les boursouflures qui apparaissaient sur son bras n'étaient pas les stigmates d'un accident de voiture. On aurait dit ... Des lacérations. Ou peut-être la trace du passage d'une balle qui l'aurait peut être effleurée? La jeune femme se rendit compte qu'elle fixait l'italienne depuis un moment.

Elle s'excusa et revint derrière son comptoir tandis que le groupe entreprit une nouvelle chanson.

La jeune femme se leva et gagna la piste. Elle dansait bien malgré sa jambe blessée et de nombreux hommes lui jetaient des regards admiratifs. Son compagnon était resté assis et l'observait, un demi sourire aux lèvres.

Elle prenait plaisir à danser, c'était évident, et de temps à autre elle faisait un signe au beau brun qui l'encourageait à continuer.

La serveuse était en train de changer son fut de bière, lorsque l'homme vint la chercher sur la piste. Il l'entraîna dans le dédale des ruelles anciennes en discutant dans leur langue , si proche du corse qu'on comprenait l'essentiel.

"Il viendra tu crois?" Demanda l'homme

"Oui"

"J'ai peur que tu sois déçue. Il ne reste que quelques jours et il n'a pas répondu à l'invitation..."

"On verra. Ton costume est prêt?"

"On ne regarde que la mariée tu sais - oh non ne pleure pas ! Je suis désolé.... Je ne voulais pas te faire de peine... "Murmura l'homme en la prenant dans ses bras.

"Et s'il ne venait pas, Pio? " Dit elle, le visage dissimulé dans sa chemise en lin.

"Et bien, on continuera à vivre ainsi. Paisiblement"

"Je... Ça compte pour moi"

"Je sais et tu sais quoi? Je pense que tu as raison. Il viendra au mariage" murmura l'homme, en l'aidant à descendre les marches.

Série: Mafia. Tome 2. LibreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant