Chapitre 15

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HAYDEN

J'ai attendu des heures devant sa porte. Assis... debout... à marcher, mais elle n'est jamais rentrée.
Il n'y avait que deux possibilités :
Soit elle est chez Gabriel, soit elle est avec un client... et cette seconde option me terrifie.
Elle m'a demandé de rester loin d'elle, de ne plus jamais l'approcher, mais je n'y arrive pas.

J'ai lutté... tellement lutté.

J'ai résisté à l'envie de la toucher lorsque je passais près d'elle en cours. J'ai résisté à l'envie de lui parler, de l'embrasser. Elle n'est pas n'importe qui pour moi. Elle est à la fois mon enfer et mon paradis, elle est mon étincelle dans les ténèbres. Elle est mon péché originel, celui pour lequel l'enfer m'ouvrira ses portes, celui qui me détruira.

Je me rends au club de Gabriel en sachant que je pourrais m'attirer ses foudres. J'ai rapidement compris qu'Alannah avait une place particulière dans sa vie, dans son cœur. Mais quel genre d'amour lui porte-t-il exactement ?
Je me dirige vers le bar où je commande un verre, scrutant la salle du regard. Je cherche Gabriel d'abord, car si elle est ici, c'est avec lui qu'elle sera, personne d'autre. Il me faut un moment pour l'apercevoir, en haut d'un escalier, en pleine discussion avec une femme. Ils regardent la salle, et lorsque nos regards se croisent, j'ai l'impression que la foudre s'abat sur moi. Il termine sa conversation avant de descendre l'escalier. Gabriel avance d'un pas assuré vers moi et s'arrête assez près pour que je l'entende.

— Tu n'es pas le bienvenu ici, déclare-t-il fermement. Il y a plein d'autres clubs où tu peux aller.

— Je sais qu'on a très mal commencé, mais j'ai besoin de la voir. J'ai fait le pied de grue devant son appartement, mais rien. J'ai cru...

— Qu'elle était ici, souffle-t-il. Elle n'est pas là, inutile de te dire où elle est.

Je mords l'intérieur de ma joue. La seconde option... celle que je redoutais le plus. Je ne suis qu'un con. Je l'ai fait fuir avec mon comportement de merde, ma jalousie et mon besoin de contrôle. L'autre moi avait repris le dessus, et je l'ai laissé me submerger totalement. Et aujourd'hui, j'en paye le prix. Gabriel ne dit rien, il se contente de me regarder exploser avant de reprendre.

— Suis-moi, allons dans un endroit plus calme pour discuter.

Sans un mot, je le suis jusqu'à un bureau où il m'indique un siège. Je m'assieds, et malgré nos anciens affrontements, il reste courtois et dépose un verre d'alcool devant moi.

— Tu tiens vraiment à elle, ce n'était pas juste un amusement entre vous deux.

— Elle m'a pris par surprise, admets-je, mais une part de moi que j'aurais préféré qu'elle ne voie jamais a refait surface.

— Je sais, répond-il simplement.

Bien sûr qu'il sait. Elle lui dit tout, ou presque. Ils ont aussi une histoire particulière tous les deux, un lien que seuls eux peuvent comprendre. Nous ne sommes que spectateurs d'une relation ambiguë, où l'amitié et l'amour se mélangent sans jamais franchir une certaine limite. Une relation où beaucoup se demandent : pourquoi ne sont-ils pas ensemble ? Ils formeraient un couple parfait, ils s'entendent si bien.

— Tu dois la laisser partir, dit-il après un long silence. Tu es un frein à sa quête de liberté. Alors je vais te le demander pour elle, parce que je veux son bonheur, et rien d'autre. Et je suis persuadé que toi aussi.

Je le fixe, me murant dans un silence total. Bien sûr que je veux qu'elle soit heureuse, qu'elle puisse enfin échapper à cette vie. Gabriel a peut-être raison : si je suis un obstacle, je dois m'éloigner.

— Tu prendras soin d'elle, n'est-ce pas ? Tu feras en sorte qu'elle arrête cette vie, parce qu'elle mérite tellement mieux.

Il acquiesce d'un signe de tête. Étonnamment, nous restons ensemble encore un moment, sans dire un mot. C'est aux alentours de trois heures du matin que je rentre enfin chez moi. Mais en arrivant devant ma porte, je remarque qu'elle est légèrement entrebâillée. J'entre discrètement, ouvre le tiroir d'un meuble à la recherche de l'arme que j'y ai cachée. Avec une prudence extrême, je me dirige vers le salon, où une légère lumière est allumée. En franchissant la porte, je tombe des nues : mon passé est là, devant moi.

Il se tient debout devant la cheminée, un verre à la main, et se retourne en me lançant un regard glacial.

— Jolie baraque, la vie de prof ça paie bien, à ce que je vois. Baisse cette arme, Hayden, tu pourrais le regretter. Tu sais qu'on ne se déplace jamais seul.

Dans l'ombre de la cuisine, je vois un de mes anciens frères d'arme apparaître, portant le blouson en cuir de notre club... mon ancien club... les Shadow Reapers, dont j'étais le second lieutenant avant cet incident.

— Tips, dis-je en saluant l'homme, qui me répond à peine.

Je décharge l'arme et la pose. S'ils étaient venus pour me tuer, je serais déjà mort. Mais le club ne fonctionne pas ainsi. Le meurtre de sang-froid, ce n'est pas leur style. On paye nos erreurs d'une toute autre manière.

— Alors, tu t'habitues à ta nouvelle vie ? Loin de nous, loin du prix de tes erreurs ?

Je pousse un long soupir, essayant d'oublier ce passé par tous les moyens.

— Comment m'as-tu trouvé ? demandé-je à mon ancien frère d'armes et meilleur ami. Et viens-en au fait directement, veux-tu ? Évitons de tergiverser.

Un rire machiavélique résonne dans la pièce. Une terreur sourde s'empare de moi à cet instant. Je sais exactement de quoi ils sont capables, jusqu'où ils peuvent aller, car ces limites, je les ai souvent franchies...

— Ah, Hayden... Tu t'es fait serrer par les flics, ton nom est apparu, c'est comme ça que je t'ai retrouvé. Et je ne vais certainement pas en finir avec toi maintenant, mon frère !

Il est maintenant face à moi, ses traits si familiers sont durs, empreints de haine, de rancœur, et de vengeance. Sa présence ici ne signifie qu'une chose : je vais devoir m'acquitter de ma dette.

— Tu sais ce qu'on dit, le karma vous rattrape toujours. Et dans ce cas, Hayden, ton karma, c'est moi, articule-t-il durement. Tu connais nos règles : une vie contre une autre. Mais ne crois pas que je vais prendre la tienne, ce serait trop facile.

Mes yeux s'écarquillent. Je comprends que ma vie n'est plus un secret pour lui et que ce n'est pas moi qu'il va tuer, mais quelqu'un de mon entourage. Mes entrailles se tordent de terreur à l'idée du nom qu'il va prononcer, car je n'aurai pas le choix de l'accepter ou d'autres mourront.

— Ne panique pas, je n'ai pas encore décidé. J'en sais trop peu pour l'instant. Cependant, j'ai déjà quelques noms en tête. Il y a ton ami de la fac, le prof, ta femme de ménage, cette vieille dame si charitable... mais le plus intéressant, c'est cette fille. Une de tes élèves, je crois... ou est-elle plus que ça ?

Mon regard me trahit lorsqu'il évoque Alannah, ou peut-être est-ce mon poing qui se serre à son évocation. Non ! Tout mais pas elle.

— Je me déciderai plus tard. En attendant, je veux que tu vives dans la peur, dans l'angoisse de ne pas savoir quand, où, et surtout qui je frapperai. Mais je pourrais aussi te laisser choisir... et prendre exactement l'inverse de ce que tu me dis. Je n'en sais rien.

La haine qu'il nourrit à mon égard est lisible dans ses yeux. Autrefois, nous partagions un amour et une loyauté sans faille, avant que je ne commette l'irréparable. Les hommes quittent ma demeure, mais s'arrêtent sur le seuil.

— Ah, ta mère me demande de te saluer. Tu lui manques parfois, jusqu'à ce qu'elle se rappelle ce que tu as fait. Dans ces moments-là, elle regrette que tu sois son fils.

Ces mots me frappent en plein cœur. Ma mère vit pour le club, tout comme moi autrefois. Avant que je ne parte, elle m'avait serré dans ses bras en disant : "Je t'aime, mon poussin. Ne te fais jamais prendre, parce que je ne ferai rien pour toi." Notre monde est particulier, impitoyable, sans cœur envers ceux qui commettent des erreurs, surtout celle que j'ai commise. Aujourd'hui, la vie des rares personnes qui m'entourent est en danger, et tout particulièrement celle d'Alannah.

Tainted LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant