03. J'ai besoin de sommeil

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Ilian


19 septembre, Paris

Parfois, quand je me sentais trop oppressé par tout ce qui m'entourait, comme l'air, les cours ou ces regards pensants, il m'arrivait de penser au bonheur des enfants uniques. Se lever tranquillement le matin, sans cris ni hurlements. Avoir son propre espace personnel et l'intimité qui va avec. Ne pas jouer le rôle d'un troisième parent.


Et quelques secondes plus tard vient le regret et la culpabilité d'avoir de telles pensées. J'avais déjà assez mal supporté le poids de la solitude pendant mes années de collège, alors vivre toute une vie sans frères ? Non. Non, merci.


Personne des huit milliards d'humain ne peux ressentir la solitude d'un enfant unique. Pas même un autre enfant unique. Et cette solitude est terrifiante. Elle m'effraie au plus haut point. Elle m'effraie tellement que je préfèrerais ne jamais y penser.


Mais la vérité, c'est que même entouré des meilleures personnes qui soient, j'ai parfois l'impression de me sentir seul au monde.


Un jour, au collège, j'avais été invité à un anniversaire où toute la classe était conviée. La fille dont c'était l'anniversaire s'appelait Chloé et elle était extrêmement douée pour se faire des amis. Durant toute l'après-midi, comme un papillon, elle avait valsé d'un groupe à l'autre, rigolant avec chacun et chacune. Je suis la seule personne qu'elle n'était pas venue voir. Je n'avais pas adressé un mot à personne de toute la fête.


J'avais dû prétexter un malaise pour rentrer chez moi, et lorsque je suis allé voir pour lui dire au revoir, elle m'a observé d'un air confus.


"Tiens, je ne savais pas que t'étais venu, Ilian !"


C'est mot pour mot ce qu'elle m'a dit. Rouge de la tête aux pieds, je suis juste sorti de chez elle avant de m'asseoir sur un banc dans un parc. J'ai dû rester deux bonnes heures là, à fixer le ciel en me demandant ce que j'avais fait pour mériter ça.


C'était humiliant et tellement rabaissant.


J'en ai pleuré, et j'ai été en colère aussi. Mais ni mes larmes ni ma frustration n'ont amélioré ma situation. Je l'ai même empirée puisque j'ai commencé à repousser n'importe lequel de mes camarades qui venait m'adresser la parole, et ce jusqu'à la fin de l'année.


J'avais douze ans.


Ce sont ces instants qui ouvrent la porte de nouvelles sensations. Et je peux affirmer que celle-ci était horrible. C'est comme être le fantôme de sa propre vie.


Depuis, j'avais bien compris quelles étaient mes priorités. Je ne sais pas si c'est une fierté mais j'avais appris à diminuer l'intensité de mes émotions. Les études sont devenues le centre de mon univers et jamais je ne m'étais éloigné de cette trajectoire.


En plus, au lycée, les professeurs m'aimaient bien. L'un d'entre eux m'a particulièrement marqué. Cela faisait deux semaines que la rentrée avait eu lieu. J'étais donc en seconde et âgé de quinze ans. Assen, le plus jeune de mes frères faisait ses dents, c'est pourquoi il avait passé sa nuit à pleurer plutôt que dormir, et comme la chambre de mes parents était proche de la mienne, je n'avais pas raté une miette de son cirque.


La tête dans les nuages, je suivais à moitié le cours de monsieur Matthieux, le fameux professeur dont je m'apprête à parler. Bien que ses cours soient en général captivants, je n'étais pas d'humeur à les suivre. Assis au fond de la classe, à l'avant dernier rang, juste sous la fenêtre, je m'assoupis.


LES ENNUIS DE SELENAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant