02. Je lui ai fait mal exprès

2 1 0
                                    




☂︎︎

Ilian

9 septembre, Paris

Morose. Telle était mon humeur du jour. Il faisait jour puisque j'allais en cours, mais le soleil s'était réfugié derrière les nuages. Hier soir, j'avais surpris une conversation entre mon père et ma mère ; ils comptent le renvoyer prochainement, ses patrons. Son entreprise a acquis des nouvelles machines qui remplaceront bientôt son travail de dur labeur. La sueur de son front n'aura bientôt plus lieu d'être. Alors le cycle s'apprêtait à recommencer ? Une nouvelle fois ? A la rue, sans un sous à quémander un peu d'humanité ? Je frissonnai à cette idée.


Mes parents ne possédaient que le baccalauréat pour seul diplôme. Comment diable étaient-ils supposés s'en sortir avec ça ? Et puis, mon plus jeune frère, Assen, pouvait à peine marcher ; il semblait nécessaire pour ma mère de l'éduquer correctement, mais alors... Alors... Je... Mon foyer... Chez nous... La nourriture... L'hiver qui arrivait...


Tout se mélangeait et fusait dans tous les sens. Des souvenirs que je croyais enfouis sous une vie désormais paisible jaillissaient plus puissants que jamais. Des images de misère, la peur de se retrouver à la rue à nouveau. J'aurais voulu que tout ceci cesse. J'aurais voulu mettre le monde sur pause pour reprendre mon souffle. Malheureusement c'était impossible. Debout là, planté sur le trottoir, la tête rivée vers les nuages pour ne pas exploser, les bruits alentour me paraissaient assourdissants. Une légère brise matinale agitait mes cheveux, je fermais les yeux pour en profiter.


Soudain, j'entendis une voix, sans doute celle d'une fille vu le timbre, crier derrière moi :


— Dégagez le passage ! Toi là le brun, bouge !


Le temps que je me retourne, c'était trop tard. J'aperçus seulement une silhouette noire, difforme, puis je sentis la chute. Son corps s'écrasa contre le mien et je me retrouvai au sol. Je sentais déjà les vagues de douleurs qui me lançaient dans le dos, mais lorsque je voulus ouvrir les yeux, c'est sur deux pupilles grises que je tombais. Sa casquette touchait mon front, son souffle frôlait mes joues, même au travers du masque noir que cette personne portait.


A nouveau, je ressentais ce même besoin viscéral de m'éloigner. à nouveau, j'avais la sensation d'être paralysé. Elle (je suppose) soupira bruyamment avant de se relever précipitamment. Des sirènes de police résonnaient non loin, et s'approchaient de plus en plus vers notre direction. Alors, la fille masquée ramassa en quatrième vitesse son sac où tintait le métal, récupéra son skateboard aux couleurs du ciel et s'enfuit aussi vite qu'elle le put sous les expressions curieuses des passants.


Moi, j'étais abasourdi, réalisant à peine ce qu'il venait de se passer. Penaud, et ne sachant que dire ou quoi faire, je décidai de faire comme si de rien n'était et repris aussi tranquillement que possible le chemin vers mon lycée. Mon cerveau avait tout bonnement balayé cet épisode de ma mémoire tant il paraissait irréaliste et tout droit sorti d'une comédie romantique stupide.


Alors je n'y pensais pas plus que nécessaire, puisque mon esprit fut aussitôt distrait par celui qui jouera par la suite un grand rôle dans mon histoire : Eren Kaya.


Je le connaissais vaguement puisque nous étions dans la même classe mais jusque-là je ne lui avais point adressé la parole et il en était de même de son côté. Pour tout avouer, je n'avais adressé la parole à personne depuis le début de l'année, exception faite de la fille aux cheveux noirs sur le toit.


LES ENNUIS DE SELENAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant