04. Je suis allé chez Eren

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Ilian



22 septembre, Paris.


— Ilian ! hurlait mon frère. C'est encore toi qui a mangé tous mes gâteaux hier soir ?! J'en avais laissé exprès pour mes copains, c'est pas cool...

Et il se mit à chouiner alors que je venais à peine de rentrer. Les caprices de Georges étaient légitimes, je ne remets pas son agacement en question. Cependant, j'admets être lassé. Pourquoi me diriez-vous ? Eh bien laissez-moi vous expliquer.

J'en ai déjà parlé plus haut mais Georges est passionné par la pâtisserie. Ses délices étaient certes amers et brûlés au début mais ses progrès flagrants nous ont tous épatés, y compris mon père. Le grand, le seul, l'unique Theodor Klarkoff. L'homme sur lequel je vais m'appesantir pour la première fois.

La misère dans laquelle nous vivions ne permettait pas à mon paternel de passer beaucoup de temps avec nous. Coincé entre l'usine, le restaurant où il faisait la plonge et le garage où il était mécanicien, ses trois métiers ne lui laissaient pas beaucoup de temps pour moi. Ni pour aucun de mes frères. Ni même pour ma mère, si vous voulez tout savoir.

Il a passé beaucoup de nos anniversaires loin de nous.

Il a raté un nombre incalculable de nos rentrées scolaires.

Il n'a même pas pu assister à la naissance d'Assen, le plus jeune de mes frères.

Il n'était arrivé à l'hôpital qu'une heure plus tard.

Pourtant je ne lui en veux pas. Sa vie a été sacrifiée pour la nôtre.

Il m'arrive de penser que si notre immense fratrie n'avait jamais vu le jour, mes parents auraient pu vivre bien plus confortablement.

Comprenez-moi ; deux maigres revenus pour six et deux maigres revenus pour deux, la différence est flagrante.

Pourtant, je ne peux rien changer à ce qui s'est passé. La seule solution qu'il me reste est de commencer à gagner un peu d'argent le plus rapidement possible. Ne serait-ce que pour soulager mon père de quelques heures par semaine.

Alors comment pourrais-je lui en vouloir de manger tout ce qui lui tombe sous la main dès que l'occasion se présente ? Mon reproche est si illégitime qu'il me rend coupable.

— Désolé Georges, j'en referais avec toi si tu veux jeudi. Comme ça tu pourras les apporter à tes camarades vendredi.

Ses yeux bruns, dont la vue était obstruée par des mèches plus claires, scrutaient mon visage, à la recherche d'une quelconque trace de mensonge.

— Promis juré ?

— ...Promis juré.

Et il repartit tout guilleret vers le salon, pour terminer sa partie de cartes avec Gabriel qui tapait du pied. Je soupirai avant de regagner ma chambre. Sur un morceau de papier, je notai :

" Jeudi : Pâtisser avec Georges "

avant de l'accrocher sur mon mur entre quatre autres papiers, censés programmer les révisions de mes examens de milieu de semestre.

Tant pis.

Le moins que je pouvais faire pour mes frères était de les préserver de la souffrance. Le rejet, la solitude, l'abandon sont des fléaux qu'ils ne doivent jamais connaître. Pour moi qui les ai subi des années, j'en ai pris l'habitude.

LES ENNUIS DE SELENAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant