IV. Quelques nouvelles du monde (1)

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IV. Quelques nouvelles du monde (1)



Depuis trois jours, j'ai un espion. Un nouveau Gardien bien spécial, qui m'épie lorsque je sors du Palais pour m'entrainer à l'air libre, lorsque je vais observer la méditation des Serviteurs adultes, quand je me poste à ma fenêtre pour regarder la mer et imaginer le quotidien de James sans moi, ou quand on m'autorise à faire quelques pas dans le sentier de pierre blanche, jusqu'à la lisière de la forêt touffue.

Ce Gardien là possède un museau noir, des petites moustaches qui pointent sur les côtés, des oreilles dressées toutes noires, des pattes et une queue rousses. Un air malicieux, toujours prêt à faire une bêtise, tendre un piège, émettre le son d'un rire moqueur, et il me suit, le plus discrètement possible, où que je me trouve. Je suis épiée.

Je ne peux, en revanche, pas l'approcher en retour.

Dès que je tente un pas, mon petit espion disparaît. Il file à une vitesse surprenante, et j'ai fini par comprendre que je devais le laisser m'observer, sans intervenir.

Du reste, aucun Serviteur n'a accepté de me parler de Dam Langlois. Ma conteuse attitrée, qui m'enseigne les Ecrits dans la bibliothèque noire et blanche du Palais, a grincé, à ma question « L'autre est autre. S'il veut te parler, il le fera. Je n'ai pas à intervenir, aucun de nous ne le doit. ».

Tout est dicté par les Lois, ici, même une simple conversation.

Je voudrais explorer la cité. J'ai entendu des Passeurs parler, la veille, quand ils traversaient le couloir du premier étage, d'une cave à baie dans le centre de la ville, où on jouerait de la musique jusqu'à l'aube, et où, tacitement, certaines règles de conduites étaient laissées devant les portes. Je reconnais que je boirais bien un peu de baie, en ce moment.

Mais, je n'ai pas le droit de me promener seule. De choisir mes lieux de balade, de manger ce que j'ai décidé de manger, ou de m'entrainer à mon propre rythme. Je flirte d'ailleurs avec le dernier degré de puissance. Ce matin, durant le combat, seuls mes yeux ont bougé quand j'ai envoyé à Malagy les piques hormonales d'une fausse couche.

Je déteste cet endroit et les règles de cet endroit, mais je ne peux nier qu'il me rend puissante. Hormis pour ce qui est de mes rêves, bien entendu.

Il faudrait que je comprenne, ça aussi. Mais il n'existe malheureuse pas de « manuel du parfait Oracle » dans les archives. C'est navrant.

Je commence cependant à prendre quelques habitudes, qui rendent mon quotidien moins imposé. Je me fais une place dans mes obligations. J'aime, par exemple, regarder les petits méditer, quand mon propre entrainement me le permet. Et je souris tendrement devant l'application d'Atôm. Rigoureux, concentré, ça pourrait être adorable, si ce n'était pas le fruit d'un endoctrinement.

J'aime aussi coincer Drick lorsqu'il se laisser aller à une complicité spontanée, un peu paternelle, avec moi. Et bien sûr, j'adore surprendre mon petit espion derrière un rocher, un feuillage plus épais, ou le mur sud.

C'est tout ce que j'ai pu réunir pour pallier ma solitude.

Ce dont je n'avais pas idée, c'est que, de l'autre côté de la Rive, on faisait tout pour la pallier aussi. Je reçois ce soir une réponse à mon silence.

Une mouette est apparue à ma fenêtre. Et si j'ai cru au début que mon petit espion chassait encore au bas de ma chambre, sur le carré d'herbe où il tente de me cerner, je remarque vite le rouleau de papier attaché à sa patte. Et l'oiseau ne bouge pas. Perché sur le rebord, il émet simplement des cris doux pour se faire remarquer.

La Troisième Rive, tome IIIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant