III. La plus belle femme de la Rive

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III. La plus belle femme de la Rive 


— Oracle !

Drick me poursuit, à travers le Palais, puis à l'extérieur, sur le chemin de pierre blanche, et jusque vers la plaine où méditent les Serviteurs aguerris.

Je n'ai pas le droit de me déplacer seule, ici. Puisqu'ils me cachent à leurs sujets, ils se débrouillent toujours pour se trouver près de moi, quand on me croise, au cas où on perçoive mon absence d'Essence.

Drick me court donc après, et me rattrape dès que la plaine en hauteur se dessine à notre vue. Mais je n'y vois pas le Degré. Une vingtaine de guerrier méditent, droits et stupides, croyants en des textes qui mentent, aveuglés par leur foi ridicule. James me manque tellement que je me mets à penser comme lui, pour combler son absence, je suppose.

Je fais volte-face et affronte le petit Serviteur si puissant, dont les yeux marrons ne cessent cligner sous l'inquiétude :

— On doit rentrer Orac...

— Où est-il ?

— Qui donc ?

— Slaetan ! Où est-il ? C'est avec lui que je veux m'entrainer.

— Mais tu ne...

— Juste là.

Sa voix grave résonne dans mon dos, portée la bise fraîche du matin sur l'Île. Je me tourne vivement pour le découvrir, tranquille, à une dizaine de pas de moi. Il a dévoilé son torse, puisqu'il ne porte pas de chemise, et enfouit ses mains dans les poches de son pantalon souple.

La lueur douce du soleil se reflète sur la teinte halée de sa peau entière, creusant des sillons entre ses pectoraux, définissant les striures abdominales d'un ventre parfait, garni d'un nombril parfait, et cheminant de ses hanches parfaites jusqu'à une parfaite ligne de V où mon regard s'arrête. Je n'irai pas plus loin.

Je retourne affronter ses yeux d'un vert vaillant, qui me toisent avec répugnance. 

— Tu m'as dit hier que tu me formais, alors fais-le, grincé-je, les poings serrés.

Ses traits restent terriblement neutres. Impassibles. Impossibles à troubler, que je le tutoie ou non.

— Tu veux que je te fasse souffrir, Oracle ?

Ce qui provoque mon frisson, dans sa phrase, c'est la sincérité de son ton. Il ne m'entrainera pas, il me fera du mal. Réellement, sans leçon sous-jacente, et sans volonté de m'épargner. Et je commence à me demander si cette phase d'observation n'était pas pour lui permettre à lui, de se contrôler en ma présence.

Le Degré veut ma douleur. Pas mon évolution.

— Tu as peur, déclaré-je en faisant un pas symbolique dans sa direction.

— Peur ?

— Tu as peur d'y prendre du plaisir.

Un sourire mauvais fend ma bouche sans mon accord, avant que j'ajoute, plus bas, comme si Drick n'était déjà plus concerné par notre échange :

— Ce serait terrible que l'Essence te serve à me faire du mal. Ce serait terrible d'avoir aussi peu de contrôle sur toi-même, Degré. Je suis là, devant toi, alors qu'est-ce que tu attends ?

Il ne scille pas, mais je sais que j'ai raison.

Il ne me forme pas, de peur que son Essence lui échappe, et qu'il ne soit pas digne de son rôle. L'harmonie extraordinaire de ses traits s'est vue, un instant, gâchée par un rictus contenu de hargne, de violence et de mépris. J'ai touché juste.

La Troisième Rive, tome IIIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant