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Les rayons du soleil sont encore bien pâles, lorsque j'atteins le haut rocher, y tourne, puis emprunte le chemin où j'ai poursuivi Tikky.
A cette heure si jeune, les parfums de l'air sont frais, et vifs. Encore purs, porteurs des échos de la nuit, et prêts à recevoir le jour. Les fleurs annulent leur ouverture à mon passage, les papillons s'écartent, les oiseaux cessent leur chant matinal. J'ai l'impression de déranger la vie, en me levant trop tôt.
Puis, je l'aperçois, lui. Dans une tenue de lin noire, chemise ouverte sur la bise fraîche, mollets découverts, chignon sévèrement coiffé.
Il a tenu parole, et m'attend, à la lisière de la jungle.
Je m'arrête à sa hauteur, et, sans un mot, sans un salue, il pivote, et s'engouffre dans l'épaisseur des bananiers. J'écarte les branches, m'abaisse parfois, écrase des feuilles attardées, m'inquiète qu'il le remarque et me reproche de tuer des insectes avec mes pas, mais il ne se retourne pas une seule fois.
Il nous mène au cœur de la jungle, sur la plaine de terre cachée entre d'immenses arbres en cercles. Et dès qu'il y entre, il s'adresse à sa liée.
Je reste en retrait, à quelques pas derrière lui, entre deux arbres, n'osant pas faire un pas sur la terre fraîche.
La panthère est allongée, au bas d'un tronc, sa belle gueule sombre reposée sur une patte. Elle redresse ses yeux verts, toise le Degré, puis baille allègrement, pour poursuivre sa sieste.
— Viens, ordonne Slaetan en tournant son profil.
Je m'exécute. Sa liée m'effraie tellement que je ne compte pas chipoter sur la nuance entre « injonction » et « invitation ». Je le rejoins, tout simplement.
Je suis épuisée, tant par l'heure précoce, que par ma nuit agitée. J'ai rêvé du petit garçon aux yeux multicolores cette nuit. Il pleurait, parce qu'il n'avait plus de mère, et je ne pouvais pas le prendre dans mes bras.
Je me plante en face du Degré, l'appréhension coure dans mon sang et me tire les veines, au point que je redoute une crampe dans le bras gauche. J'inspire, il le remarque, ne commente pas.
— Les Ecrits sont faux.
Son ton était à la fois une question, et une affirmation. Ce qu'il attend, c'est que je lui explique tout.
J'essaye de comprendre cet élan soudain de considération pour ce que je pourrais lui révéler. Et les premiers mots de Drick à son sujet me reviennent en mémoire, là, au cœur caché de la jungle verte. « Il croit en l'Essence ».
Slaetan me hait peut-être, et me haïra sans doute toujours pour ce que j'incarne. Mais il écoutera ce que je suis. Son Oracle.
— Un des deux, confirmé-je.
Je voudrais que notre rapport soit égal. Un minimum. Qu'il me dise quelle femme est ma tante, par exemple. Ou pourquoi il n'élève pas Atôm. Ou comment il s'est lié à sa panthère. N'importe quoi qui me donnerait une impression d'échange, et pas d'interrogatoire.
— Comment tu le sais ?
Sa question n'est pas légère. Elle porte le poids de l'intelligence, et de l'incrédulité. Ce qu'il souhaite, c'est savoir si j'ai écouté des rumeurs, ou si l'Essence m'a réellement parlé.
Il reste ainsi, plus haut et plus puissant que moi, le visage clos, les yeux étincelants, plus verts que les feuillages épais qui nous protègent de la Rive. Magnifique.
— L'Essence me l'a dit.
— Comment ?
— Elle m'offre des rêves, parfois.
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La Troisième Rive, tome III
RomansTome III. Dernier volet de la trilogie de La Troisième Rive. Hélianne doit faire face à de nouveaux combats. L'Ile aux Essences s'avère bien plus mystérieuse et bien plus complexe qu'elle ne l'avait envisagé. Complots, secrets, guerres, dans ce de...