Chapitre 7

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Perla Costa

Vêtue de ma seconde robe plus confortable, je regarde tout autour de moi. La fête bat son plein. Le Consigliere des Otavecce est dans son élément. Il discute de tout avec tout le monde, il éclate de rire après une blague de mauvais goût, il se fait bien voir par chacune des personnes présentes ici. Se rend-il compte de ce qu'il a fait ? J'ai essayé de manger, de boire un verre, de laisser la nuit de noces sur le côté pendant un moment.

Je n'y arrive pas.

Que va-t-il me faire ?

Mais toi, tu as embrassé un démon.

Je me lève alors brusquement, j'ai besoin d'air. J'attire l'attention des invités. Difficile d'être discrète lorsque ma table est au centre d'une pièce, les regards rivés sur moi. Le brouhaha se calme un instant, j'en prends conscience et je trouve une excuse rapidement.

— Je vais simplement me rafraîchir aux toilettes, tenté-je de les rassurer. La mariée a trop bu ! je rigole.

Me voyant rire, tout le monde se met à rire. Et dans un écho surdimensionné et assourdissant, le calme récemment retrouvé disparaît de nouveau. Je ferme les yeux une seconde et sors enfin de cette salle pleine d'hypocrites. Pourquoi des hypocrites, alors que je ne les connais pas ? Car ils savent tous ce qu'il m'attend. Ils savent tous que je n'ai pas tout à fait consenti à cette union. Et ils doivent connaître les raisons qui ont poussé Vicente a accepté. Ce que moi, je ne sais pas. Et que je ne saurais probablement jamais.

Je marche vite jusqu'aux toilettes et reprends mon souffle. Je me masse les tempes, relève mon voile complètement et contemple mon reflet dans le miroir. Que vas-tu devenir, me lancé-je à moi-même. Je mouille légèrement mon visage et je fais attention à ne pas gâcher ce maquillage de prostituée. Je soupire, lève les yeux au ciel et sors des toilettes. Un mur, qui n'était pas là tout à l'heure, m'empêche d'avancer. Je relève un peu la tête et je suis face à un buste d'homme. Je lève alors le menton, et je dois me décrocher la nuque pour apercevoir le visage d'Eusebio, dont les yeux s'agrandissent comme des soucoupes. Il tourne la tête violemment et me repousse légèrement.

— Qu'est-ce que...

— Votre voile !

— Quoi ? Mon v...

Oh ! J'ai oublié de le remettre en place avant de sortir des toilettes. Cela veut donc dire que Vicente ne sera plus le seul à avoir vu mon visage innocent avant la nuit de noces. Qu'est-ce que ça pouvait bien faire, finalement ? Une idée me vient alors en tête.

— Je l'ai remis, vous n'êtes plus obligé de détourner le regard.

Il se tourne de nouveau sur moi, une fois de plus, les yeux pleins de stupeur. Je vois à son visage qu'il commence à s'énerver mais avant qu'il puisse tourner la tête une seconde fois, je me mets sur la pointe des pieds et agrippe agressivement son visage. Je le force à me regarder dans les yeux. C'est une situation risquée car on est au beau milieu du couloir. N'importe qui pourrait arriver pour les toilettes, ou l'extérieur pour fumer une cigarette ou prendre l'air. Mais je m'en fiche.

— Pourquoi me forcez-vous, chuchote Eusebio.

Je serre davantage ma prise et il grimace.

—Pourquoi m'avez-vous demandé si j'étais certaine, tout à l'heure ?

Son regard est plongé dans le mien. Il est bouche bée quelques secondes.

— On n'a pas le temps d'avoir cette discussion ici, se plaint-il.

— Dépêchez-vous de répondre alors.

— Et si quelqu'un arrive...

— Je dirais que vous m'avez épié dans les toilettes et que vous m'avez forcée à vous montrer mon visage sans le voile, réponds-je, amère.

Ses yeux s'agrandissent encore et je ne savais pas que c'était possible. Je ne flanche pas, j'attends sa réponse. Mais on n'a pas toute la soirée devant nous.

— Vicente est un homme mauvais, lâche-t-il enfin.

Je desserre un peu ma prise et je réfléchis.

— Qu'auriez-vous fait si j'avais dit que je n'étais pas certaine ?

— Je...

On entend alors le bruit de la poignée qui s'abaisse, on se tourne tous les deux vers la porte. Eusebio me lance alors un regard effrayé. Dans un geste sec et rapide, il enroule sa main sur mon poignet. Son autre main sur mon épaule, il tire sur mon bras pour le coincer dans mon dos et me mettre dos à lui. Il avance rapidement et il nous suffit d'un pas pour rejoindre les toilettes. Je n'ai pas le choix que de le suivre, il est trop grand et trop fort pour tenter quoique ce soit. Et puis, je n'aurais jamais réagi aussi rapidement que lui. Il entre dans la dernière cabine et nous enferme tous les deux à l'intérieur. Il lâche mon bras, je me masse le poignet, puis l'épaule.

— Je suis désolé, dit-il tout bas. Je ne voulais pas vous faire mal.

— Je... Ce n'est rien. C'est de ma faute si on se retrouve dans cette situation merdique, souris-je malgré moi.

Je me tourne vers lui et je n'avais pas conscience de l'étroitesse de cette cabine avant d'y être enfermée avec Eusebio. Debout face à moi, je le touche sans le vouloir. Il comprend le malaise et finit par s'asseoir sur les toilettes. Il me libère donc un peu d'espace. Il me regarde franchement et paraît s'en foutre de mon voile. Mon visage, il l'a vu deux fois sans voile. A quoi bon prendre des dispositions maintenant ? Il me fixe et je ne sais plus où me mettre.

— Je ne sais pas ce que j'aurais fait si vous aviez répondu non, il répond à ma question de tout à l'heure. J'aurais... J'aurais...

— Il y a quelqu'un ici ?

Une voix pas tout à fait lointaine nous surprend tous les deux. Eusebio pose son index sur sa bouche et m'incite au silence. Je lui obéis sans broncher. Si quelqu'un nous surprend, c'est la fin pour moi, mais pour lui aussi. Il pose ses mains sur mes hanches et sans attendre, il me soulève et me fait m'asseoir sur lui. A califourchon. J'ai envie de crier mais surtout de rire, toutefois son regard glacial m'en dissuade. Il est conscient de notre position mais il est trop concentré pour réaliser. Je n'ai d'autre choix que de poser mes bras autour de son cou. Il reste alerte pour le moindre bruit. Vicente avait raison : Eusebio est doué dans son métier de garde du corps.

— J'ai entendu chuchoter, la voix reprend, je sais qu'il y a quel...

Sans prévenir, pour que cette personne parte, je me mets à gémir. Des cris de plaisir, comme si j'étais en train de tirer mon meilleur coup dans les chiottes. Comme si j'étais sur le point de jouir.

— Oh, oui, juste là ! crié-je et Eusebio sursaute.

— Oh je... pardon... je...

Je continue ma comédie et je sens Eusebio se crisper sous moi, ses bras me serrant plus fort contre lui. Il enfouit son visage dans mon cou, mort de honte. Je sens sa peau brûler. Il doit rougir. On entend la porte claquer et j'arrête tout. Il redresse alors la tête. On se regarde en se pinçant les lèvres. On éclate de rire, un rire franc, on se rend compte du bruit que l'on fait et on continue à rire en se forçant à n'émettre aucun bruit.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 18 ⏰

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