26. Un monde de papier

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Trois jours venaient de s'écouler. Trois levers de soleil et tout autant de couchers.
Des heures nombreuses. Des minutes défilant, des secondes disparaissant tout aussi vite.

Le temps s'était écoulé bien trop lentement à certains moments, trop rapidement en d'autres.
Il était passé et elle, elle n'avait pas changé.

Lorsqu'elle réussissait à s'isoler dans la salle de cartographie, le monde courait. Et au contraire, quand elle tombait par inadvertance face à un commandant de l'équipage au détour d'un couloir, chaque respiration lui semblait durer une éternité ; une faite de lourdeur et d'anxiété.
Voilà pourquoi Seïri Sakazuki s'appliquait tout particulièrement à ne presque jamais quitter sa tour de princesse, son antre sacrée. Le seul endroit encore capable de lui offrir un semblant de paix et de bonheur sur ce rafiot flottant sur les mers.

Les cartes ne la fixaient pas d'un drôle d'air, l'encre noir ne tentait pas de lui parler comme si elle était une bombe à retardement. Sa plume ne l'approchait pas d'une voix tremblante, n'inventant aucun racontars derrière son dos.
Et enfin, les îles et informations qu'elle décrivait sur le grain des feuilles ne possédaient pas de sentiments. Elles n'étaient pas envahies par la peine et l'attachement, elles ne lui posaient pas de questions.

Elles n'étaient pas humaines.

Non, il s'agissait simplement de ses échappatoires, ses raisons d'être.
Peu importait l'état dans lequel elle se trouvait tant que son œuvre arrivait intacte, dans la plus parfaite condition possible entre les mains de n'importe quel voyageur de ce monde.

Elle ne serait pas une cartographe, sinon.

La brune soupira lentement, observant l'air qu'elle venait d'expirer frissonner contre son œuvre presque finie, se mêlant à la lumière de la lampe à huile. La vague de l'atmosphère contourna l'île principale de l'archipel des Kokomis, vers laquelle ils se dirigeaient, enchaînant sur les bases de la Marine proches de cette zone qui était l'une des rares a accepté la mixité des camps sur le territoire de l'Empereur.
Il joua quelques instants avec les coins de son support, narguant presque les routes commerciales transcrites sur le papier, comme si le vent pouvait gonfler les voiles conquérantes des navires accrochées à leurs mâts.

Clignant des yeux durant quelques instants pour se reconnecter à la familière odeur d'encre et de papier de la pièce, elle nota de l'une de ses mains tachées d'encre quelques indications qui lui serviraient pour ces travaux suivants ; si jamais il y en avait.

"Si jamais je survis jusque là."

Cette pensée guettait les tréfonds de son esprit depuis ces trois longs petits jours.
Et par le conseil des cinq doyens, sa nouvelle situation allait la rendre folle. Elle la terrifiait, la tétanisait lorsqu'elle était seule face à elle-même.

Pourtant, elle ne la regrettait pas. La brune aux prunelles d'eau et de nuages ne faisait plus semblant désormais. Elle n'agissait plus comme la cartographe de l'équipage, non.
Elle était avant tout Sakazuki Seïri, une apprentie cartographe de la grande école des Sabaody qui s'était retrouvée par un concours de circonstances particulièrement étrange sur le Mobydick, le navire de l'un des quatre Empereurs des mers. Une suite d'événements qui même pour elle, en tant que personnage principale de toute cette histoire auraient été difficile à croire.

Elle ne la criait pas sur tous les toits, son soi qui habitait enfin en maîtresse totale des lieux son cœur, loin de là.
Mais elle, elle le savait. Elle ne fuyait plus son identité. Et bon sang, qu'est ce qu'elle se sentait mieux dans sa peau !

Elle était elle. Juste elle.
Et même si elle se sentait coupable lorsqu'elle croisait Ace de l'autre bout du ponton, même si elle craignait à chaque heure qui passait que l'on vienne la chercher, la conduisant à ne plus jamais voir la lumière du jour ; ce sentiment coulait toujours librement dans ses veines. Celui d'un semblant de liberté.

La fille du magmaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant