5. Ce qui était perdu

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Une tombe.
Blanche et couverte de fleurs.

Autour, des gens. Tous en habits de cérémonie, de noirs vêtus.
Et chacun, la fixant. Plus ou moins discrètement.

Cette bonne femme ne la quittant pas du regard, murmurant dans sa barbe des lamentations. Ce militaire gradé aux coups d'œils fugaces, emprunts à la fois de crainte et de malheur.
Les gens étaient étranges. Étranges à fixer cette fillette vieille de seulement quelques années, s'accrochant à la main brûlante d'un grand homme à la cape de Marine, dont les bords blancs volaient dans le vent.

Alors elle serra cette peau chaude et marquée par la vie et l'épée, cette enfant aux cheveux bruns lâchés sur ses épaules et dont les pupilles, aussi claires que le ciel lui-même ne comprenaient pas ce qu'il se passait.

Depuis quelques jours, tout était étrange. Son papa n'était plus vraiment lui-même, le regard hagard et la voix sèche.
Mais il n'avait jamais été vraiment expressif, son papa. Il y avait eu cette femme aussi, aux gestes remplis d'amour et de pitié qui lui avait dit qu'à partir de maintenant, ce serait elle qui s'occuperait d'elle.

Seïri n'avait pas compris. Elle avait déjà une maman elle, une maman qui prenait bien soin d'elle et qui l'aimait beaucoup.
Une maman qui cuisinait et qui lui chantait des comptines tous les soirs, avant de l'embrasser pour lui souhaiter une bonne nuit et de beaux rêves.

Alors avec cette maman, elle n'avait pas besoin qu'on s'occupe d'elle. Or elle nétait plus là.
Elle était partie toute heureuse depuis un temps qui lui semblait désormais une éternité, à la découverte de ces mets qu'elle appréciait tant. Puis elle ne l'avait plus revu.

Ces hommes étranges étaient venus. Papa avait hurlé, beaucoup.
Elle avait eu peur, aussi. Et s'était laissée faire, emportée par la vague d'action de ces adultes qu'elle ne comprenait guère.

Alors Seïri était juste là, dans sa jolie petite tenue que cette dame, sa nounou qu'elle disait l'avait aidée à enfiler ; serrant son doudou dans sa main libre, la paume de son père de l'autre.

Son papa.
La fillette releva le regard, à la recherche des yeux paternels de l'homme qui la faisait sauter sur ces genoux lorsqu'elle le demandait, lâchant sans cesse des paroles qu'elle comprendrait plus tard, quand elle serait grande.

Mais elle ne vit rien. Rien dans cette peau basanée et déjà marquée par la vie. Rien dans ces cernes qui s'étiraient sous ces yeux, celle d'un être humain terriblement fatigué.
Rien dans ces mèches poivres et ces iris gris. Rien hormis résignation et colère, mêlées.

Seïri ne comprenait toujours pas ce qu'il se passait. Elle savait juste qu'elle ne reverrait pas sa maman, et quelque part, cela lui donnait envie de crier.
Mais si elle faisait cela, on l'arracherait à la poigne de son papa, et elle ne pourrait pas rester. Or la fillette brune ne bougerait pas. Car elle avait l'intime conviction qu'il fallait qu'elle soit là, aujourd'hui.

Pour sa maman qu'elle aimait tant.
Alors elle fit comme les grands, cette gamine sage aux cheveux bruns rangée aux côtés du gradé de la Justice ; gardant le silence en contemplant ce qui l'entourait.

Et c'est là qu'elle les vit.
Les roses rouges.

Celles qui couvraient en grande partie cette tombe dépourvue de corps, étalant leurs pétales carmins sur la blancheur de la stèle commémorative. Les mêmes qui garnissaient ce vase, achetées avec amour et attention.
De la même espèce aussi, de celle que cet homme blond lui avait donnée, embrumant son esprit de ces senteurs alors qu'il l'embrassait passionnément, la déshabillant avec envie plus tard.

Encore et toujours les mêmes. Celles d'avant. Celles de maintenant.

De simples fleurs.
Des bourgeons qui avaient grandis et qui, pourtant possédaient ce pouvoir de l'émouvoir, de lui faire se souvenir. De la même couleur que le sang qui avait coulé sur ces ponts.

La fille du magmaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant