Chapitre 6

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De retour au cabinet, je m'installe à mon bureau, entourée de piles de dossiers. Mais aujourd'hui, tous deviennent secondaires. Il n'y a plus qu'une seule affaire qui compte : celle de M.Uttaro. L'image de son visage décomposé, de son regard implorant, ne me quitte pas. Chaque détail compte, chaque élément peut faire basculer la balance.

Je commence par relire mes notes de l'entretien avec Diego. Ses paroles résonnent encore dans mon esprit : « Je ne l'ai pas tuée. » C'est un refrain que j'entends souvent dans ce métier, mais cette fois-ci, il y avait quelque chose de différent. Un désespoir authentique, une peur profonde. Quelque chose qui m'empêche de croire à sa culpabilité sans réserve.

Je m'empare du dossier de l'affaire, fourni par la police, et le dépose sur la table. Les premières pages sont remplies des dépositions des témoins, les rapports de la scène de crime, et surtout, le passé judiciaire de Diego. Un passé qui ne joue certainement pas en sa faveur. Les rapports que je parcours rapidement me donnent une vue d'ensemble. Marine Boggio a été retrouvée environ une heure après sa disparition, son petit corps sans vie jeté dans une benne à ordures située juste en face de chez Diego. Une simple coïncidence ? J'ai du mal à y croire. Mais si ce n'est pas lui, alors qui ? La police a été appelée immédiatement, et Diego a été arrêté peu de temps après, alors qu'il revenait de sa pause cigarette. Tout cela s'enchaîne de manière presque trop parfaite. Tout a été rapide. Après la découverte du corps de Marine, Diego a été arrêté sur son lieu de travail, encore sous le choc de la nouvelle. Personne ne l'avait vu interagir avec Marine ce jour-là. En réalité, personne ne se souvient même l'avoir vu à proximité de la fillette.

Je passe aux dépositions des employés de l'hypermarché. Plusieurs d'entre eux mentionnent le comportement distant de Diego ce jour-là. Un comportement qui, selon eux, n'était pas si inhabituel : Diego était discret, fuyant, quelqu'un qui ne parlait pas beaucoup. Mais est-ce suffisant pour l'accuser de meurtre ?

Je continue ma lecture jusqu'à tomber sur une autre déposition : celle d'Antonio Cordier, l'homme qui jouait le Père Noël dans l'hypermarché ce jour-là. Selon le rapport, il a quitté son poste une heure avant la disparition de Marine, sans avoir été témoin de quoi que ce soit d'inhabituel. Il a fourni un alibi qui, d'après la police, est jugé solide. Rien de suspect à première vue, et pourtant, je note son nom dans un coin de ma tête. Il faudra que je creuse un peu plus tard.

Lola frappe à la porte et entre, interrompant mes pensées. Elle me tend une clé USB.

- Voici les enregistrements des caméras de surveillance. Ils couvrent l'intérieur du magasin, mais rien à l'extérieur, là où Marine a été vue pour la dernière fois.

Je prends la clé et la remercie, bien consciente de la limite de ces images.

- On verra ce qu'on peut en tirer, dis-je en l'insérant dans l'ordinateur.

Les vidéos sont de mauvaise qualité, mais elles montrent les allées et venues des clients et des employés dans l'hypermarché. Je repère rapidement Diego, concentré à son poste, scannant les articles avec une précision mécanique. Aucune interaction suspecte avec Marine ou qui que ce soit d'autre. Tout semble normal.

Replaçant une mèche derrière mon oreille, je continue à scruter les images, essayant de trouver quelque chose, n'importe quoi qui pourrait me donner une piste. Puis, je tombe sur une séquence où Diego quitte son poste pour sa pause cigarette, quinze minutes après la disparition de la jeune fille. Il sort du cadre des caméras, direction le coin fumeur, qui se trouve à l'extérieur du magasin, là où il n'y a aucune surveillance vidéo.

Je reviens en arrière et observe les autres employés, en particulier ceux qui auraient pu croiser Marine ce jour-là. C'est un travail fastidieux, mais nécessaire. Chacun d'eux pourrait potentiellement détenir une pièce du puzzle. Je prends des notes : une caissière, un homme à l'air pressé qui semble sortir régulièrement pour passer des appels, et bien sûr, le Père Noël, qui passe de temps en temps dans le champ de la caméra, distribuant des bonbons et réalisant plusieurs photos avec les enfants, au grand bonheur de leurs parents.

Un autre nom attire mon attention : Pedro Becker, le glacier qui tient un petit stand près de l'entrée. D'après les dépositions, c'est un homme jovial, connu pour sa gentillesse avec les enfants, et qui dit avoir été chercher sa fille chez une amie quelques heures avant l'assassinat. Pourtant, malgré le fait qu'il s'absente régulièrement pour les mêmes raisons, et ce depuis presque trois mois, personne ne semble s'être attardé sur lui durant l'enquête. Je prends note de son nom également. Lui aussi mérite d'être interrogé de manière plus approfondie.

Je me penche à nouveau sur le passé de Diego. Sa condamnation pour complicité dans un braquage de bijouterie, son séjour en prison, sa tentative de réinsertion... Tous ces éléments sont connus et utilisés contre lui. Pourtant, rien ne le lie directement au meurtre de Marine. Aucun témoin ne l'a vu avec la fillette ce jour-là, et il n'y a aucune preuve matérielle qui le relie à la scène du crime.

Il faut aussi que je fasse le point sur les preuves matérielles : l'absence de traces ADN concluantes sur le corps de Marine, le manque de témoins visuels, et surtout, la rapidité avec laquelle la police a conclu que Diego était le coupable idéal. Toutes ces preuves me paraissent bien trop évidentes, et la police semble s'être concentrée exclusivement sur Diego, en négligeant d'autres pistes possibles. A part s'il souhaite réellement retourner derrière les barreaux, quel sorte d'assassin jetterais un corps dans une benne à ordures, qui plus est en face de son domicile, sans prendre la peine de le dissimuler ?

Me reculant un peu plus dans mon siège, je masse lentement les tempes, essayant de réfléchir à d'autres options logiques et envisageables. Réfléchis Inès ! Serait-ce un coup monté ? Est-ce que quelqu'un essaie de faire porter le chapeau à Diego ? Mais pourquoi lui, précisément ? Le fait qu'il soit un ancien délinquant le rend-il si facilement coupable aux yeux des autres ?

Prenant mon téléphone en main, je sélectionne le prénom de Lola dans mes contacts, et la met en haut parleur.

- Allô Lola ? Pourrais-tu lancer des recherches plus précises sur le père de la petite, Gilberto Boggio, le père-noël présent à l'accueil, Antonio Cordier, le glacier, Pedro Becker, et sur la patronne de l'hypermarché, Laura Gartet ?

Je laisse passez un silence afin de lui laisser le temps de prendre des notes, puis lui demande de me déposer tous les rapports le lendemain, à mon retour du tribunal.

Je raccroche, puis passe en revue les autres affaires en cours. Certes, l'affaire Uttaro est importante, mais celle de Mme.Galtier n'est pas à négliger pour autant.

Voyant qu'il est déjà 18h30, je décide de prendre les dossiers et textes préparés concernant la quadragénaire, et de rejoindre Lou-Anne au point de rendez-vous. Pour l'instant, ma priorité est d'être présente pour elle. Et puis je pourrai toujours finaliser les documents dans la soirée.

Avant de quitter le cabinet, je rédige une liste des tâches à accomplir. Il faut que je parle à nouveau à Diego, que je comprenne mieux son état d'esprit, et que je sois sûre qu'il me dise tout ce qu'il sait. Je dois aussi retourner sur les lieux du crime, parler aux autres employés, et examiner les faits sous un nouvel angle.

Je ferme enfin le dossier, mais la sensation d'inachevé me hante. Je suis encore loin de la vérité, mais je sens que je m'en approche. Un détail me manque, une pièce essentielle du puzzle qui rendrait tout cela cohérent. Mais quoi ? Je soupire en me sentant perdre mon calme. L'impatience a toujours été l'un de mes plus gros défauts. Mais à présent, il me faut rester patiente, méthodique. Ce n'est qu'en explorant chaque piste, en examinant chaque indice, que je pourrai découvrir ce qui est arrivé à Marine Boggio, et pourquoi Diego est assis aujourd'hui derrière les barreaux.

Je quitte le cabinet avec hâte, impatiente de troquer mes affaires et mon rôle d'avocate pour celui d'une amie compréhensive.

Noël derrière les barreauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant