TW : Crise d'angoisse
– Avancez.
Nous obéissons. Nos mains sont liées, nos doigts entrelacés comme pour se raccrocher l'un à l'autre. Les policiers nous poussent et nous avançons, un pas devant l'autre, tremblants.
Tant que nous sommes ensemble, tout va bien.
Je me répète cette phrase comme un mantra, une prière pour préserver cet ultime espoir. Je m'y accroche et je serre ta main comme pour ne jamais te lâcher. Tant que nous sommes ensemble, tout va bien.
Tes doigts sont crispés par la peur, mais tu prends quand même le temps de me caresser les phalanges de ton pouce pour me rassurer. J'essaie de détendre mon bras et raffermis ma prise sur ta paume. Tant que nous sommes ensemble, tout va bien.
Je sens une poussée dans mon dos et manque de trébucher. Ils veulent que nous accélèrions. Je reprends mon équilibre et presse le pas sans lâcher ta main. Tant que nous sommes ensemble, tout va bien.
Les policiers nous font entrer dans une gare visiblement destinée au transport de marchandises. Mon cœur s'effraie, mes pensées s'affolent. Je repense aux rumeurs sur les trains à bestiaux qui transportent les "déviants sexuels" jusqu'aux camps de conversion. Instinctivement, nous nous rapprochons l'un de l'autre, collant presque nos épaules l'une contre l'autre. Tant que nous sommes ensemble, tout va bien.
Nous avançons dans la gare. Ils nous amènent jusqu'à l'unique train stationné sur les voies ferrées. Un groupe de policiers monte la garde devant les wagons de bois et de métal, prêts à accueillir autant de troupeaux de bétail qu'il peut en contenir. Ou plutôt des centaines de personnes homosexuelles, dont nous allons bientôt faire partie. Je serre ta paume plus fort, paniqué, et je sens de nouveau la caresse rassurante de ton pouce sur le dos de ma main. Tant que nous sommes ensemble, tout va bien.
L'un des policiers qui nous accompagnent s'avance pour parler aux gardes du train. Je réussis à saisir des bribes de conversation. « ...derniers... départ... camp. » Tu presses ma main un peu plus fort pour me rassurer. Tant que nous sommes ensemble, tout va bien.
Le policier revient vers nous. Il va nous faire monter dans le train. Ils vont nous envoyer dans leurs camps. L'enfer sur terre, de ce qu'on en dit. Les rumeurs sur les tortures et les lobotomisations qu'on y pratiquerait envahissent mon esprit, sussurant des paroles menaçantes à mon oreille. On murmure même qu'ils y font des expériences sans lien avec une prétendue guérison, des expérimentations inhumaines pour "faire avancer la science". La panique s'infiltre dans mes pensées, mon souffle devient court, saccadé. J'ai l'impression d'étouffer, ma tête tourne comme si j'allais m'évanouir. Je veux fuir ce lieu qui provoque tant d'angoisse en moi, mais mes membres ne répondent plus et je perds le contrôle. Je tremble, paniqué ; une sensation d'opression se diffuse dans tout mon corps, accompagnée d'une vague nausée et de frissons incontrôlables. Mon cœur bat à cent à l'heure. Le monde tourne autour de moi et se déforme. Mes jambes ne me tiennent plus, je vais tomber. Ma terreur monte, devenant chaque seconde plus intense, jusqu'à exploser, jusqu'à...
Une chaleur réconfortante m'enveloppe soudainement. Des bras m'encerclent doucement et je m'abandonne à leur étreinte protectrice. Une voix familière me parle avec douceur. Peu à peu, les battements de mon cœur ralentissent, les frissons et les vertiges cessent, la nausée s'estompe. Mes sensations ne sont plus diffuses et se précisent à chaque seconde. Ma respiration se cale sur celle de la poitrine sur laquelle je m'appuie et se stabilise. La crainte et la panique sont toujours là, mais cette fois c'est moi qui les contrôle. Tu es là. Tant que nous sommes ensemble, tout va bien.
Un coup de matraque te frappe à la tête. Un autre touche mon épaule. Les policiers nous attrapent et m'arrachent à ton étreinte. Je me débats, crie ton nom, essaie de me libérer, en vain. Je les vois qui t'emmènent loin de moi, vers l'arrière du train, et ma terreur refait surface. Je ne contrôle plus rien. Mes cris se font paniqués, hystériques ; mes gestes désordonnés, impulsifs. Je hurle ton nom et toutes les sensations que tes bras avaient dissipés reviennent en masse, plus fortes que jamais. Mon souffle s'affole et mon cœur avec. J'étouffe, je ne peux plus respirer. Je ne sais plus où je suis, qui je suis. Je sais juste que tu n'es plus avec moi et cela augmente ma panique, toujours plus, jusqu'à ce que je ne sois plus que crainte et terreur.
Tant que nous étions ensemble, tout allait bien.
Maintenant ils nous ont séparés et c'est mon monde qui part en morceaux.
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Histoires d'un autre monde
FantasyPourquoi un deuxième recueil ? Eh bien tout simplement parce que celui-ci regroupe des nouvelles un peu spéciales, qui prennent toutes places dans le même univers fantasy dont j'ai déjà dévoilé les cartes... Plus de détails à l'intérieur ! ^^ P-S :...