— Sinon, il y a toujours la possibilité de mourir. À ce stade, c'est la seule échappatoire.
À ce moment précis, je dois vous avouer que j'ai cru que mon avocat avait pété les plombs. Entendons-nous bien : Maître Dumas a toujours été créatif pour me sortir du pétrin. L'esquive de la peine capitale à Shanghai pour vice de procédure ? C'était lui. Le transfert rétroactif de fonds illicites à une association caritative ? Lui encore. La création de trois entreprises de confiserie en deux jours pour corriger ma déclaration fiscale ? Devinez. Maître Dumas est le champion en titre des esquives judiciaires, enfin en ce qui me concerne. Vu le niveau de ce qu'il est capable de déployer, et du cabriolet toutes options que je lui ai déjà payé en honoraires, croyez-moi quand je vous dis que je me suis habitué à me sentir aussi intouchable qu'un député après une séance de détournement de fonds publics dominicale.
Cette fois, Maître Dumas ne riait pas. Sa phrase, tout compte fait, n'était pas vraiment sur le ton de l'humour. Elles l'étaient rarement. Ce n'était pas un drôle, de toute façon. Il avait l'air d'être né en costard, le gus. Je mets cent balles contre un esquimau fondu que la sage-femme a donné la marque de la cravate avant d'annoncer le sexe. Son humour puait la naphtaline et les dosettes de café soluble qualité filtre. Il lui arrivait de plaisanter parfois. Il appelait ça un bon mot, comme tous les mecs qui ont un aimant à beigne sur la ganache. Si vous saviez le nombre de fois que je me suis retenu de lui coller un soufflet pour me détendre les rhumatismes, vous inscririez mon blase sur un monument historique.
— Dites donc Maître, elle est bien sombre ta plaisanterie, lançai-je.
— Ce n'est pas une plaisanterie, François-Xavier.
Alors, ça, je dois avouer que ça m'a assis. Quand mon avocat m'appelle par mon prénom, c'est comme quand ma mère m'appelait par mon nom complet en montant de trois octaves. En général, ça veut dire grabuge en vue, taïaut, sauve-qui-peut, coup de tocsin et tout le tintouin. Maître Dumas me colla un dossier sous le nez, le genre de document à endormir un comptable le temps d'un tir de revolver.
— Que veut dire ce dossier ? Voilà un paquet de feuilles aussi gros que l'ancien testament.
— Cet ancien testament, comme tu dis, ce sont tes chefs d'inculpation, et les preuves à charge. Il y a de quoi te faire couler pour de bon. C'est fini, François-Xavier. Je ne peux plus rien faire avec des procédures légales.
— Entendu, soupirai-je. Après-tout, il faut bien que je passe à la caisse un jour, n'est-ce pas ? Qu'est-ce que je risque ? Une amende de combien ?J'étais prêt à sortir le carnet de chèque, quand Maître Dumas me fixa comme mon père le jour où j'ai repeint le chien en bleu.
— Dans le meilleur des cas, le risque c'est la prison à vie.
— Le meilleur ?
— Oui. Plus réalistement tu seras extradé dans un des pays qui te réclame. La majorité d'entre eux applique une peine capitale plutôt expéditive. Pour être plus clair, selon toute probabilité, dans trois semaines environ, tu seras mort.
Mort. D'un seul coup je n'étais plus d'humeur à plaisanter. Il y a des choses avec lesquelles on ne rigole pas. Une annonce de décès, ca appelle une certaine solennité. Quoi que ça veuille dire. Lorsqu'on vous dit que vous allez mourir, votre cerveau a l'art et la manière d'inventer l'échappatoire la plus farfelue possible. C'est naturel. Ça porte un nom, mais je l'ai oublié. A ce moment précis, ma matière grise imagina en à peine une seconde un scénario invraisemblable à base de non lieu, de protection diplomatique et de grâce présidentielle. Cependant, le regard d'un pro, ça vous ramène toujours dans le droit chemin du réalisme, surtout quand il s'agit du regard de Maître Dumas, qu'il vous arrive parfois d'appeler par mégarde le jour de la fête des pères. Ca va hein, ils sont presque voisins sur le répertoire.
Bref. C'est vrai que j'avais dépassé les bornes. Que mes lecteurs soient rassurés : je n'ai jamais causé la mort d'un homme, enfin je ne l'avais pas fait à ce stade. Tout était une question d'optimisation et de magouilles financières. Retenez mon exemple et ne piquez pas dans le portefeuille d'une mafia. Ou d'un groupement armé privé spécialisé dans la déstabilisation démocratique. Ou juste d'un riche un peu revanchard. En fait, ne volez pas tout court. Ayez un petit job sans histoire, investissez dans la pierre et dans le CAC 40, finissez vos jours avec de quoi faire une croisière aux caraïbes, profitez du all-inclusive pour vous saccager le foie avec des mojitos trop dilués pendant que les mioches découvrent les joies du sirop d'écosse dans votre dos. Un truc du genre.
— Et donc face à ça, ta solution à toi c'est que je me flingue ?
— Mais enfin, François-Xavier, qui a parlé de se suicider ?
— C'est toi et ta soit-disant solution consistant à mourir ! Mourir pour échapper au décès, tu me fais enfin rire !
Encore une fois, Maître Dumas ne riait pas. S'il n'avait pas arboré ce petit sourire en coin de l'avocat qui a trouvé une solution et qui savoure l'instant, on aurait pu le croire vexé. C'est là que j'ai connecté deux neurones et que j'ai compris le plan, la fameuse dernière carte dans ma main. C'était une solution radicale, certes, mais une évidence. François-Xavier allait bel et bien devoir passer l'arme à gauche. Sur le papier.
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S'enfuir n'est pas mourir
HumorFrançois-Xavier, escroc sans scrupules, vient de franchir la ligne rouge. Pour échapper à la justice, son avocat tordu lui propose une solution radicale : changer d'identité. Après un passage sous le bistouri, voilà notre François-Xavier métamorphos...