Chapitre deux

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Dalil n'avait jamais imaginé qu'il existait un endroit avec autant de verdure, surtout en plein été. Mais à mesure qu'il conduisait, suivant les indications de son téléphone, les collines et les montagnes environnantes se paraient de verts profonds et divers. Oh, bien sûr, il y avait quand même sur le côté de la route quelques champs légèrement jaunis. Mais même les blés étaient loin de la couleur blonde qu'il avait vu tout le long du trajet. Il se demandait même si c'était seulement du blé ? Il n'y connaissait absolument rien, le blé, il le voyait en farine, rarement dans les champs.

Cela lui rappela les moments où il avait travaillé sur la réfection de silos de céréales ou de sucre, il n'aimait pas du tout ces boulots-là. Ce qu'il appréciait, c'était sentir le vent, toucher le ciel, et pas avoir l'impression de plonger dans un gouffre sans fin jusqu'à en étouffer. Il détestait cette sensation de claustrophobie provoquée par les silos.

Il avait ressenti la même sensation avec Ryan, celle d'être coincé quelque part, sans lumière ni issue, avec l'impression que l'air devient plus difficile à respirer. Avec les kilomètres avalés, il se sentait de mieux en mieux, comme si son esprit se détachait de l'engourdissement provoqué par son errance, même la pression sur son cœur s'allégeait. Il obéit au GPS et suivit la route entre les deux falaises, malgré le panneau de travaux interdisant l'accès. Il ne commençait que le lendemain, mais il voulait observer les lieux. La montagne se referma sur lui, mais les pans de pierre recouverts de feuillage ne provoquèrent pas la même impression que les silos. Par contre, la fraîcheur brutale le surprit. L'air filant par sa fenêtre sembla perdre plusieurs degrés d'un seul coup, et même son odeur changea, se chargeant d'humidité. Il jeta un œil vers le ravin sur sa gauche, puis observa la carte sur son téléphone. Oui, un cours d'eau courait tout au fond du ravin. Quelques mètres plus loin, la route était totalement barrée, et il gara son fourgon sur le bas-côté. Il passa les barrières sans se poser de questions. Longeant la route, il découvrit des kilomètres de falaises verticales au ras de la route, projetant leur ombre dessus. Il posa la main le long de la roche et la retira, surpris. Elle était humide. Il leva la tête pour observer la mousse et les plantes affleurant sur la pierre. Pendant encore quelques minutes, il visita les lieux, découvrant les opérations de stabilisations des dernières années, et songeant à celles qu'il allait faire. Puis, il reprit son camion, fit demi-tour et continua jusqu'au camping municipal de la petite ville à cinq minutes de là.

Pour sa première nuit, il décida de ne pas dormir dans le van. Il avait besoin d'air. Il posa une toile étanche sur l'herbe, puis tira son matelas dessus et y déroula son sac de couchage. Il était exactement où il devait être : à la belle étoile. Quand les lumières du camping s'éteignirent, il se sentit enfin loin, ailleurs. Les étoiles paraissaient plus proches grâce à l'altitude et à la visibilité. Il distinguait même avec clarté la bande nuageuse de la Voie Lactée traversant le ciel.

Il avait laissé Ryan derrière lui, mais les souvenirs avaient voyagé avec lui, et il mit une éternité à s'endormir, revivant par petits flashs tout ce qu'il s'était passé. Ça n'avait été que des moments volés assez navrants, Ryan cherchant son plaisir en pensant rarement à celui de Dalil, la façon dont il détournait son regard pour éviter de rencontrer celui de Dalil. Ça aurait pu être n'importe quel mec au final. Pourquoi avait-il fallu que ce soit lui ?

Parce que Ryan savait qu'il ne dirait jamais rien, parce qu'il savait qu'une fois que Dalil l'aurait gouté, il reviendrait, sans rien dire. En vérité, Dalil n'était même pas sûr que Ryan ait songé à tout ça avant de lui attraper la main et de la coller contre son entrejambe. Ryan n'était pas quelqu'un de réfléchi ou qui anticipe les différentes situations, il vivait au jour le jour sans rien prévoir, mentait ou esquivait quand quelque chose ne tournait pas comme il le voulait, ce qui faisait hurler Juliette de rage, qui attendait qu'il grandisse enfin. Dalil ferma les yeux sur les étoiles quand Juliette s'insinua dans ses pensées. Il pouvait prétendre qu'il ne voulait pas la faire souffrir, mais il était tétanisé de peur à l'idée qu'elle le déteste. Ses sentiments pour Juliette n'étaient pas aussi forts que ceux pour Ryan, mais ils étaient moins difficiles à gérer, plus apaisés. En se retournant pour enfoncer le visage dans son oreiller, il se rendit compte qu'il allait tout perdre. Qu'il parle ou non, il avait déjà tout perdu. Il ne lui restait que le poids de sa faute sur le cœur dont il n'arrivait pas à se débarrasser.

Laisser se poser les papillonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant