Chapitre sept

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Pourquoi samedi ? se questionna Thibault tout en traversant le village au pas de course. Pourquoi n'avait-il pas dit le soir ou le lendemain ? Résultat : il avait l'impression que le temps se dévidait à reculons. Et ça ne faisait qu'un jour ! Ce matin, il avait guetté la silhouette de Dalil, tendu l'oreille pour entendre les plaintes de Flèche, mais le cordiste n'était pas passé.

Il se sentait un peu idiot de fantasmer sur ce gars, de s'accrocher à l'idée d'un quelque chose avec lui. Oui, mais c'était le premier gars à qui il pouvait en quelque sorte faire confiance. Quelqu'un qui le voyait, lui et pas son passé, quelqu'un qui attraperait une image de lui et qui l'emporterait ailleurs, très loin, comme un souvenir de voyage. Il voulait Dalil parce que sa présence serait aussi éphémère que celle d'un papillon.

Il avait bien eu des amis, mais après la mort de ses parents, ses relations avec les autres s'étaient compliquées. La plupart des gens le scrutait en permanence à la recherche de ce qui devait lui manquer. Il avait passé beaucoup de temps faire semblant de combler les silences pour n'inquiéter personne. Puis, un jour, les vannes avaient cédé et il avait lâché tout ce qu'il avait sur le cœur. Mais alors que tout le monde se disait prêt à l'écouter s'il en ressentait le besoin, ses mots n'avaient plu à personne.

Alors, à treize ans, il avait poursuivi sa découverte de la montagne, d'une façon sauvage et solitaire, s'y réfugiant de plus en plus souvent. Elle lui avait apporté un refuge que les personnes n'avaient pas pu lui donner. Là-haut, il se sentait bien, pas vivant, mais seulement bien, sans être envahi par le ressentiment, par la peur. La nature avait accueilli ses mots tout autant que ses silences. Il l'aimait et il avait aimé la partager avec Dalil. Il se demanda s'il pourrait l'emmener à d'autres endroits, ses petits jardins secrets. Il connaissait les meilleurs coins, loin des sentiers à touristes, ceux qui n'étaient pas listés sur les brochures.

Il s'engagea dans un lotissement et continua jusqu'à la maison située tout au bout. Thibault passa le porta, frappa à la porte-fenêtre de la cuisine et entra sans attendre. Il traversa la pièce en jetant un œil sur la cocotte posée sur la cuisinière. Pas besoin de soulever le couvercle, il pouvait sentir l'odeur de ratatouille en train de compoter. Il passa dans le séjour et gagna la baie vitrée. Sur la terrasse, à l'abri de la pergola recouverte de chèvrefeuille, sa grand-mère équeutait les haricots.

« Bonsoir !

– Bonsoir, mon chéri, ça va ?

– Ça va. »

Par habitude, il s'installa à ses côtés et attrapa une poignée de haricots pour l'aider. Thibault avisa l'homme dans le jardin, debout devant un massif de fleurs. Sa grand-mère se pencha pour lui chuchoter, alors même qu'elle ne pouvait pas être entendue à cette distance.

« Il paille ses hortensias pour éviter qu'ils prennent chaud. C'est une bonne soirée. »

Thibault acquiesça et équeuta les derniers haricots qu'il avait en main avant de rejoindre l'homme près des énormes fleurs. Par bonne soirée, sa grand-mère voulait dire que les douleurs articulaires de son grand-père se tenait à distance et qu'il pouvait se mouvoir sans trop souffrir. Malgré les mots de sa grand-mère, il approcha avec un peu d'anxiété.

« Bonsoir, Papy !

– Bonsoir, mon grand !

– Comment tu vas ?

– Tu veux la version longue ou courte ? »

Thibault sourit et son grand-père reprit :

« Ça va. Comment ça se passe à la boulangerie ?

– Bien. »

Tout en aidant son grand-père à pailler le massif d'hortensia, il lui raconta qu'il avait tenté de nouveau grignage. Au lieu de bougonner et de dire qu'on grignait en croix depuis douze générations, Roland lui prêta une oreille attentive et lui prodigua quelques conseils avisés. Thibault jeta un œil en arrière, échangea un regard avec sa grand-mère et sourit. C'était effectivement une bonne soirée.

Laisser se poser les papillonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant