Je marche. Mon corps avance, mais mon cerveau est en boucle. Mes pieds traversent le périphérique. Les voitures ont toutes l'air d'avoir un but'précis. Est-ce que tout le monde sait quoi faire de sa vie ?
La plupart des gens détestent les portes de Paris. Trop de béton, pas assez d'humains. Nous les mortels au milieu de ces grosses voies, on est comme des petites pousses de mauvaises herbes entre deux pavés. Ce n'est pas très pratique pour notre survie, mais c'est poétique. De l'autre côté du périphérique, il y a Pantin. J'y habite avec ma mère dans un appart qui était moderne du temps où je n'étais pas né. Ce n'est pas très grand et toujours un peu fouillis. Ma mère n'a jamais le temps de rien et pourtant elle fait un peu de tout. Dans tous les sens. Notre vie fonctionne ainsi depuis des années : elle est comptable dans une entreprise d'informatique, son job est ennuyeux alors, elle aime bien que notre foyer soit vivant.
Arrivée devant la porte de notre immeuble, j'hésite à entrer. Ma mère va tout de suite voir que quelque chose ne va pas. Déjà qu'elle a tendance à s'inquiéter pour rien, qu'est-ce que ça va être lorsque ce n'est pas pour « rien » ? J'insère la clef dans la serrure tout doucement, comme quand il est 4 h du mat, sauf qu'il est 19 h 12. L'odeur des endives au jambon me caresse les narines. Il y a plein de gens qui détestent, mais moi j'adore. Ça respire la région de ma mère, le nord. Normalement, si je sens cette odeur, je rentre direct dans la cuisine, je m'assois alors qu'elle coupe des trucs et on se raconte des anecdotes sur ma grand-mère. Mais là, ce n'est pas des souvenirs que j'ai à lui conter. C'est le contraire. C'est de l'avenir.
J'ai mis un bébé dans le ventre d'une femme. J'ai besoin de me le formuler pour réaliser que c'est la réalité.
Ma réalité.
Est-ce que ce sera pire ou pas comme annonce pour elle que quand j'ai redoublé ma troisième ? C'est dur de réfléchir quand le ciel te tombe sur la tête. Je rentre dans ma chambre sans un bruit. J'ai même enlevé mes chaussures.
Ouf. Elle n'a rien entendu.
Sur mon lit m'attend mon tas de linge, propre, repassé et plié. Cette vision d'amour maternel m'oppresse. Je ne sais pas quoi faire de ma vie, mais mes fringue sont pliées. L'ironie de la situation me tue. Je tente un geste un peu dramatique les bras vers le ciel et fais tomber ma lampe de chevet.
— Louis ?
Je ne suis jamais discret. Beaucoup trop maladroit pour ça.
***
Je n'arrive pas à les manger ses endives. Ça ne veut pas.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? D'habitude tu adores ça, elles sont trop cuites ?
Ma mère imagine toujours que tout est de sa faute. Elle est super autocentrée de la culpabilité.
— C'est pas les endives.
— T'as encore raté un partiel ?
Je ne peux pas lui en vouloir de penser ça. J'ai 20 ans et déjà trois années d'études complètement différentes les unes des autres derrière moi : Histoire, Commerce et maintenant Art du Spectacle option cinéma. On n'est qu'en octobre, et j'ai d'avance envie d'abandonner. Rester assis c'est assez pénible. Alors, rester assis et écouter un prof parler du Non-Dit chez Paul Thomas Andersen, ça me parait presque impossible. Petit, j'ai été diagnostiqué TDAH. J'ai un trouble de déficit de l'attention. Ça veut dire que tout est toujours plus intéressant que ce que je suis en train de faire. C'est la maladie de « l'herbe est plus verte ailleurs ». Je passe sans arrêt à autre chose. On dirait un truc de petit génie. Genre-moi, je pense, trop en arbre tout ça. Non, moi c'est juste que mon cerveau est un énorme boloss qui se souvient jamais de rien. Le résultat c'est que je n'ai jamais rien voulu assez longtemps pour le vouloir vraiment. Mais là, pour une fois, ce n'est pas le problème.
— C'est pas ça, non...
Bon. Je re-tente les endives. Faut que je donne le change. Je sens le regard de ma mère qui me passe au scanner.
— T'as mis une fille enceinte c'est ça ?
Mais comment ça peut être sa première idée ? Comment elle peut avoir raison aussi facilement ? Je ne sais pas quoi répondre devant tant d'instinct maternel. Mon silence dit tout. J'avale le morceau d'endive tel un condamné dans le couloir de la mort. Elle sait qu'elle a touché juste. Et ça n'a pas du tout, du tout l'air de lui plaire.
— C'est ça.
— Okay.
Ce n'était pas la peine d'argumenter. Elle sort son portable. Elle va faire quoi ? Appeler le SAMU ?
— Donne-moi son numéro de téléphone.
— Non, non, non, t'en mêles pas !
— Donne le numéro des parents.
— Maman : c'est une adulte.
D'ailleurs moi aussi je suis censé être un adulte. Je l'oublie toujours un peu. Et elle aussi. Elle est en train d'ouvrir frénétiquement tous les tiroirs de la cuisine. Je ne sais pas ce qu'elle cherche ? Un saladier ou une solution ?
— Bon écoute, ce n'est pas la peine de jouer sur les mots. C'est pas le moment. Je sais que légalement vous êtes encore des adultes.
— Nan, mais, elle, c'est vraiment vraiment une adulte.
Je ne pensais pas qu'elle pouvait être encore plus paniquée. En fait si.
— Elle a quel âge ?
—Je sais pas. Mais elle est allée au même concert que toi, celui de Lorie où elle chantait avec son ex là ?
— Billie Crawford ?
J'opine de la tête d'un air perdu. Son visage se crispe comme celui des meufs dans les films d'horreur.
Puis elle soupire : elle vient de trouver ce qu'elle cherchait. Un paquet de Marlboro light. Ça se voir qu'il est super vieux, il n'y a pas les pubs qui font peur dessus. Elle s'allume une clope. Et cette fois-ci, je m'abstiens de faire une remarque.
NOTE DE L'AUTRICE : Et voilà la suite et la fin du première chapitre du point de vue de Louis ! J'ai vu que vous avez bien aimé avoir son côté des choses, il y en aura d'autres promis ! Vous pensez quoi de la réaction de la mère de Louis ? Vous feriez quoi à sa place ?
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Pas de Son Age
ChickLitJuliette, 39 ans et demi a une vie parfaite, un job qu'elle adore, des amis qui l'entourent, un bar qu'il lui fait des Spritz exactement comme elle veut, et une famille indigne qu'elle arrive - la plupart du temps - à éviter. Le bonheur. Sauf que to...