Et comme une mélodie qui répondrait au « pop » de la bouteille, la sonnerie de ma porte retentit. Je vais ouvrir, si c'est un témoins de Jéhovah, je jure que je lui fais manger mon test de grossesse.
— T'as ouvert du rosé ?
Ce n'est pas un messager de Dieu, c'est ma sœur. Et elle fonce direct vers la bouteille de vin.
Ah non, elle se rend compte qu'elle a oublié de me dire bonjour, revient me faire la bise, puis retourne vers l'alcool.
Puis se sert un verre et l'apprécie immédiatement :
— C'est celui qu'on aime. Celui qui claque sous la langue, et réchauffe le cœur.
— Tout va bien ?
Je lui demande ça en connaissant d'avance la réponse. Ma sœur a toujours quelque chose qui cloche. Mais attention, je ne dis pas que c'est une râleuse, elle a vraiment des soucis. La vie ne navigue pas souvent en sa faveur. Et moi je suis là pour aider le vent à souffler un peu dans l'autre sens.
— Les garçons sont chez la voisine.
Bon, ce n'est pas une réponse, mais c'est un début. La suite viendra en temps, en heure et en verres de vin. Portant le récipient à mes lèvres sans y penser, je suis soudain pris d'un frisson qui me rappelle à moi-même. Le rosé, son goût à la fois sucré et astringent, les glaçons qui picotent la bouche : la saveur de la légèreté. C'est délicieux. Je croyais que lorsqu'on était enceinte on était soudain automatiquement dégouté de l'alcool, mais visiblement c'est faux. Je n'ai jamais autant apprécié un petit rosé de chez Franprix.
Ma sœur saisi son verre et s'installe sur mon canapé de tout son long, signifiant qu'elle n'est pas prête de quitter mon appartement. Il va falloir que je lui tire les vers du nez si je veux qu'elle parte un jour. C'est pas que j'aime pas quand elle est là, mais j'ai moi-même quelques petites choses à résoudre. Après j'avoue que je prends ses vacances de moi-même avec plaisir. Je ne vais pas mentir : je préfère les problèmes des autres, ils paraissent beaucoup plus résolvables.
— Tu es juste là pour le rosé ?
— Oui, j'avais besoin de me changer les idées.
Okay, nous y voilà.
— Ah bon pourquoi ?
— Pour rien. Mais j'en peux plus d'être mère au foyer. Faut que je fasse quelque chose de mon existence.
— Tu fais déjà quelque chose... T'as tes enfants, t'as...
Je me retrouve un peu à court d'arguments. C'est vrai que dernièrement son quotidien se résume à élever ses enfants et à se plaindre...
—Voilà. Pas ouf ma vie.
— Il est toujours temps de faire quelque chose... La vie c'est un truc qui bouge...
Et j'en sais quelque chose... (mais ça je ne lui dis pas)
— Je sais. D'ailleurs, je crois que j'ai trouvé ma passion.
Me dit-elle en me désignant la bouteille de Rosé dont elle se ressert un verre.
— Quoi ? Ta passion c'est l'alcoolisme ?
Si je suis honnête, je peux que dire que j'aurais dû le voir venir.
— Mais nan. t'es con. L'œnologie !
— le truc des vins ?
— Oui sommelier quoi.
— Okay donc c'est bien ce que je disais.
— Mais non tu recraches à chaque fois !
— Genre, toi, tu vas gâcher de l'alcool ?
Je dois avoir touché juste, car Iris ne répond rien. Il y a des moments dans la vie où avoir le dernier mot n'est pas un sentiment de victoire. Il y a beaucoup de tristesse dans ce silence.
— Désolée, pardon.
— C'est pas grave.
— Si c'est important. Je t'écoute. C'est bien ça comme idée, sommelière. On va établir un plan.
Faire des plans c'est mon langage de l'amour à moi.
— Laisse tomber. J'en ai parlé à Yvan. Il dit qu'il ne voit pas comment c'est possible. Qu'on ne va pas engager une nounou pour que je fasse une école pour apprendre à boire du pinard.
Le coup porte : j'ai fait la même réflexion que son connard de mec. Tout d'un coup je suis beaucoup plus motivé par cette idée d'œnologie. Il faut que je la pousse parce que ce n'est pas Yvan Le Pas Terrible qui va le faire. Le gars est terrifié à l'idée que sa meuf ait une once d'autonomie. Il voudrait bien qu'elle reste toute sa vie dans sa petite boite où elle ne lui fait pas d'ombre. Je voudrais pouvoir lui dire que je vais lui payer moi la formation. Que sa grande sœur s'occupe de tout. Mais en ce moment, l'état de mes finances ce n'est pas assez glorieux pour pouvoir jouer la mécène... Peut-être que si... Mais bon, on verra plus tard, là l'urgence c'est de lui donner « l'envie d'avoir envie ».
— Je me souviens quand on était petites, tu adorais décrire le goût des trucs. Genre un jour tu m'as dit qu'une tarte aux pommes avait la saveur de la fin de l'été. T'avais 12 ans.
— Oui, bon, j'ai dû voir ça à la télé.
— N'empêche ça m'a marqué. Je suis sure que tu serais super bonne à décrire du pinard en 18 000 mots.
— Le grain de beauté sur ton oreille il est nouveau ?
Iris la reine du changement de conversation opportun.
— Mais non n'importe quoi : je l'ai toujours eu.
— Mais si je suis sure ! Je suis ta sœur, je vois très bien quand y'a un truc qui change chez toi !
Là elle n'a pas tort. Mais ce n'est pas au niveau de l'oreille que ça se situe...
— Tu veux des sushis ?
Oui, okay, c'est un truc de famille, le changement soudain de conversation...
***
Je lui ai dit que je descendais attendre le livreur de sushis. C'est faux, je n'ai rien commandé sur l'appli, j'ai fait semblant. J'avais besoin d'espace pour réfléchir à moi et à ce truc que j'ai dans le ventre. Faire un choix avant de pouvoir poursuivre le reste de ma vie. Je marche jusqu'au restau japonais de ma rue pour leur acheter des trucs. Ma sœur n'y verra que du feu. J'aime bien la dame de mon japonais, les seuls mots qu'elle connait en français sont reliés soit au poisson soit à l'argent. Ca me rassure. Elle est stable. Et puis elle me reconnait à chaque fois. C'est un totem de ré-assurance. Je lui commande des makis pour Iris et moi.
— au thon cuit pour moi je suis enceinte, merci.
Elle a acquiescé, sans aucune affectation.
Et moi, je crois que j'ai pris ma décision.
NOTE DE L'AUTRICE : Et voilà, Juliette a pris sa décission ! Vous croyez que c'est la bonne ? Et qu'est ce que vous pensez d'Iris maintenant qu'on la connait un peu mieux ? En tout cas moi j'adore la relation des deux soeurs ! La famille de coeur c'est celle des frères et soeurs !
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Pas de Son Age
Chick-LitJuliette, 39 ans et demi a une vie parfaite, un job qu'elle adore, des amis qui l'entourent, un bar qu'il lui fait des Spritz exactement comme elle veut, et une famille indigne qu'elle arrive - la plupart du temps - à éviter. Le bonheur. Sauf que to...