Chapitre 5, Partie 1 : être un sachet de thé

215 15 17
                                    

Je suis super bonne à ça normalement : prendre des décisions. Ma technique ? Le faire très rapidement, presque sans réfléchir, comme on enlèverait un pansement sur la main de quelqu'un d'autre. Mais là, c'est la panne technique. 

Quelques heures après le choc, j'ai rappelé le Docteur Amzar. La main crispée sur l'accoudoir de ma chaise, j'ai demandé plus de "détails". Les voici : je suis à ma neuvième semaine de grossesse. Pour résumé, j'ai encore le temps si je veux mettre fin à ma grossesse. Une boule se forme dans mon ventre devant l'évidence : y a des choix qui pèsent beaucoup plus lourds dans une vie que d'autres. Impossible pour moi de rester dans l'incertitude. C'est trop angoissant l'entre deux. 

Je dois faire un choix et, pour la première fois de ma vie, je n'y arrive pas. 

Pourtant je suis dans ma safe place aka mon bain. 

Je tape sur mon portable "avoir un enfants, les pour et les contre". Une personne normale taperait ses bonnes et mauvaises raisons à elle. Je ne sais plus si je suis normale. J'adore ma salle de bain, elle est toute petite avec une baignoire qui prend toute la place. J'ai l'impression que quand je trempe dans de l'eau à 38 degré c'est le seul endroit où je m'arrête de courir, y compris dans ma tête. Compliqué de faire des listes de truc à faire quand t'es toute nue, pleine de mousse, et que tu sens la lavande. Ca m'aide pour être focus de me tremper dans l'eau chaude. Je me transforme en petit sachet de thé pour détendre mon cerveau. Désolée la planète, c'est pas idéal pour toi je sais. 

Mon esprit se met encore à divaguer. Il faut que je me concentre : être ou ne pas être enceinte, telle est la question du jour...

... A laquelle il est impossible de répondre seule.

Vingt minutes plus tard, moi je suis enroulée dans une serviette, les cheveux humides et Anis est dans ma penderie ou plutôt "la chambre des vêtements" : ce n'est pas un placard, c'est une pièce. Oui, comme dans les films où les héroïnes passent leur vie dans leur placard avec leurs chaussures classées par couleurs. Encore mieux que la vie dans les catalogues La Redoute. Cette pièce j'en ai rêvé toute ma vie, et aujourd'hui à force de travail et de prêt sur 30 ans, je l'ai obtenue. Et ne croyais pas que je suis richissime avec un géant appartement avec vue sur la Seine. Non, j'habite à côté du périphérique et j'ai vu sur un cordonnier.  Je l'ai racheté à une mamie morte (enfin aux enfants d'une mamie morte sinon ce serait bizarre). Même quand ce n'était pas mon appartement, j'ai senti que c'était mon appartement. Et aujourd'hui j'ai un millions de crédits mais l'appartement de mes rêves, un trois pièces chambre, salon, penderie.

Anis est en train d'utiliser un mètre afin de voir si ça ferait une chambre de bébé adéquate. C'est sa façon de m'aider, le concret, le tangible, le mesurable. Que des trucs qu'on peut noter et comparer pour plus tard. C'est pour ça qu'on s'entend bien, il ne pense jamais que mes questions sont métaphoriques. Il prend des mesures. Littéralement. Et le verdict tombe. Si je veux installer un bébé chez moi, il va falloir que je libère la moitié de l'espace de ma penderie pour y placer un lit et une table à langer. Donc techniquement, je peux avoir un bébé et garder de la place pour mes vêtements.

On se regarde un temps sans rien dire. Cette prise de cette décision mérite de l'alcool. Sauf que... je ne peux pas boire d'alcool tant que... je n'ai pas pris ma décision. Je tourne en rond dans cette quadrature de la sobriété. La vie : cette garce qui aime l'ironie. Je finis par prendre mon courage à deux mains et poser la question qui me fâche moi à Anis : "okay en nombre de centimètres un bébé rentre, mais est-ce qu'en poids de bonheur ça vaut le coup?"

Anis sait que jusque là j'étais très heureuse sans. Bon j'aurais sûrement été heureuse "avec" aussi, mais la vie a fait que je sois heureuse sans. Ca m'a pris un certains temps, j'avoue, pour me sortir de la pression de la société qui te dis que tu n'es pas une femme accomplie tant que tu n'as pas un bébé à ton effigie. Encore plus de temps à oublier le regard de ma mère qui pense, au fond, qu'une femme qui n'est pas une mère n'est pas une femme. Aujourd'hui j'ai traversé le pont de tous ces aprioris, et je suis heureuse sur l'autre rive, celle de la non-maternité heureuse.

Alors pourquoi tout chambouler ?

Et aussi pourquoi pas ?

Je suis coincée dans un ping pong mental. Je passe d'une décision à une autre avec rythme et petit bruit énervant. Ping. Pong. Ping. Pong. Enfant. Pas d'enfant. Pong. Ping. Je déteste cet état : l'état de ne pas savoir. Le moment entre les choix.

Hélas, Anis est beaucoup trop féministe pour répondre à ma question par une affirmation. Et je l'aime pour ça. Mais là, je crois que, pour une fois dans ma vie, j'ai besoin d'un bon mansplaining.

C'est le moment où j'aurais besoin d'un grand frère. Moi je n'ai qu'une petite soeur et je suis celle  qui doit savoir quoi faire. Et puis, je refuse de lier ma famille à ce choix. Je ne veux pas savoir ce qu'ils pensent du fait que je veux leur créer une famille dans le dos. Je ne dis pas que c'est pas leur problème, mais ce n'est en tout cas pas leur décision.

Je dis à Anis que ça va aller. Qu'il peut y aller. C'est faux, mais ce qui est vrai c'est que j'ai besoin d'être seule. Il me dit au revoir avec son petit air inquiet. Mais je sais qu'il repart vers d'autres aventures, probablement une soirée avec sa meuf super classe et même  pas enceinte. Il tente de me rassurer en me disant que je peux l'appeler jour et nuit, qu'il sera là. Mais il part et moi je reste seule avec ma progestérone en folie...

Cette journée commence à sérieusement devenir une soirée. Je n'ai toujours pas pris de décision et je peux presque entendre « le tic toc » qui me signale que c'est la fin du délais. Sans que mon cerveau l'ai vraiment commandé je me retrouve devant la porte de mon frigo ouverte à fixer la bouteille de Rosé que j'ai mise au Frigo il y a deux jours. Quand je n'avais pas encore conscience de mon état. Il y a deux jours je buvais encore. Et pourtant j'avais déjà ce truc dans mon ventre... Qu'est-ce qui a changé depuis ? Je ne vois qu'une solution : In Rosé Veritas. Si je le garde ne suis pas censée boire, mais, soyons réaliste, je ne suis pas sure d'avoir la force de prendre une décision à jeun. Et comme une mélodie qui répondrait au « pop » de la bouteille, la sonnerie de ma porte retentit. Je vais ouvrir, si c'est un témoins de Jéhovah, je jure que lui fais manger mon test de grossesse.

NOTE DE L'AUTRICE : encore merci pour tous vos commentaires et votre enthousiaste. Ca m'aide vraiment beaucoup et j'adore cette communauté Wattpad que je découvre ! Du coup, là, qui croyez vous que c'est à la porte ?

Pas de Son AgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant